
Schluterstrasser, Berlin le matin
Du 2 mars au 12 mai 2001From 2 March to 12 May 2001
L’exposition d’Elisabeth Ballet à La Salle de bains se présente sous deux formes.
D’une part, une installation vidéo dont le film, réalisé à Berlin en 1996, a déjà été montré au Centre National de la Photographie à Paris. La vue du film est celle d’une cour d’immeuble. Elle remplace, le temps d’une exposition, la cour de La Salle de bains en prenant sa place dans la vitrine. La bande sonore qui accompagne le film joue à l’inverse du home cinéma un son distant de l’image, celui d’une personne déambulant dans un intérieur.
D’autre part, une photographie éditée en carte postale à 1000 exemplaires et qui fait suite encore une fois à un séjour en Allemagne, à Bonn cette fois. La photographie a été prise dans la rue et nous montre deux vélos recouverts par les liserons jaillissant d’une plate-bande. Véritable icône photographique de l’amour et de l’abandon, l’image s’est imposée d’elle même comme une carte postale.
Valérie Parenson
—
“Ce n’est pas moi qui ai eu l’idée de montrer un exhibitionniste, il est venu à moi et forcément il y a une histoire qui a commencé… L’image montre la façade d’une résidence berlinoise orientée sur cour, le mur est recouvert d’un enduit orange. Entre la vitre de mon appartement et l’immeuble que je regarde s’élève le tronc dépouillé d’un marronnier, il n’y a pas de vent, pas d’oiseaux, pas de bruit ; le film se situe au milieu de l’hiver. Il habite en face, au deuxième, un étage au-dessus du mien. Exclusivement le dimanche ou les jours fériés, un homme nu apparaît et disparaît régulièrement derrière sa fenêtre, il y reste des heures ; de temps à autre il s’éloigne de ma vue, en prenant son temps, doucement, il s’assied sur ce qui doit être son lit. L’homme a une relation muette avec moi, il se tient debout, comme sur le devant d’une scène de théâtre, rideaux fermés ; rideaux à demi clos ; rideaux largement ouverts. Je travaille au premier étage de cet immeuble qui est vide de tout autre occupant le week-end, je suis seule avec lui, j’attends, et je le filme.” - Propos recueillis par Elisabeth Lebovici.
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[PRESSE] Les Petites affiches lyonnaises, Mars 2001
L’art est une histoire de regard. Le regard que porte l’artiste sur le monde, le monde vu par l’autre qui mate encore et toujours… Une forme qui se confond et se fond sur la toile, le volume ou l’écran, et ne prend sens que dans le parcours des yeux du spectateur. Une histoire de voyeur, avec tout ce que cela peut comporter de sous-entendu puisque, à travers ce désir inassouvi de voir, l’art ne fait que révéler la part d’interdit, une part d’obscénité, cet étrange moment où la scène dévoile le hors-scène.
On ne peut, dit-on, contempler ni la scène primale, ni Dieu et, du coup, les efforts de reproduire au-delà du simple réel semblent inépuisablement voués à l’échec. La vidéo d’Élisabeth Ballet présentée à la Salle de bains ne parle somme toute que de cette faille existentielle. De la défaite évidente et fragile des mateurs solitaires, dans un cadre simple, sans plans de coupe, une caméra immobile enregistre avec discrétion les agissements inavouables d’un homme encore plus discret. On ne voit qu’une façade dans une cour d’immeuble, un arbre sans feuille qui coupe et compose l’image.
Dès lors, en arrière fond, le spectateur ne peut que se focaliser sur le seul être vivant de cette nature morte urbaine. Derrière un rideau de dentelle, comme une sentinelle ridicule, il se tient nu dans l’encadrement de la fenêtre. Et il regarde, on ne sait pas ce qui l’absorbe à ce point, on ne comprend pas où se dirige vraiment son regard à lui. Le nôtre est rivé sur ses gestes, la pâle ossature, le corps vieilli qui statufie les bras le long du corps. Puis il bouge, les bras, les mains se mettent à la hauteur du sexe. Le rebord nous cache les jambes, nous subtilise l’objet qui pourrait à tout moment démontrer les émotions par trop réelles de l’individu.
Par un subtil jeu de miroir, le spectateur se retrouve en position de voyeur, on guette l’impossible, la réalisation de ce désir flottant, l’instant où l’on pourrait basculer enfin vers une libération des tensions sous-jacentes. Le son seul accompagne l’espace d’exposition, des bruits de pas, des va-et-vient furtifs, des déplacements intrigants à l’intérieur d’un appartement. Ce déplacement virtuel nous renvoie alors au face à face incontournable, à l’artiste, l’autre personnage de ce film qui se cache, elle aussi, derrière la caméra, mais pour mieux épier le déroulement de l’histoire. Sur ce scénario très simple, Élisabeth Ballet arrive à injecter une narration pleine de sens, elle joue sur les transgressions du regard, sur le dévoilement de ce dernier et sur sa silencieuse présence.
L’homme à sa fenêtre, la jeune femme dans sa chambre, un croisement sans réalité, sans chair. Il n’y a aucune issue, entre le désir et son objet. Juste ce corps en silhouette et ce souffle de vie que l’on perçoit. L’homme qui se caresse dans l’immobilité et ce pas qui traverse un espace imaginaire ressemblent à deux territoires étrangers, mais terriblement liés. La force du regard provoque la convoitise et tout simplement la demande. Une demande qui ne peut que se répercuter dans la rage de son refus. L’homme nu n’est plus qu’une figure, celle de l’impuissance et de la solitude qui vous prend plus sûrement à la gorge qu’une liaison heureuse et amoureuse. Dans la rigidité de son décor, il finit par n’être qu’un personnage symbolique d’aspiration et de besoin, mais qui ne peut ou ne veut réellement les assouvir. À la fin de la vidéo, on n’aura pas vu grand-chose, pas de désignation évidente de l’érotisme, pas de sexe en érection, pas de scène frénétique de masturbation, mais cependant, lorsqu’il laisse sa main faire retomber le rideau, comme on peut le faire à la fin d’un spectacle,
on sait que l’on vient de percevoir le hors champ du désir.
Cette vidéo a été réalisée à Berlin, sans être mise en scène, Élisabeth Ballet avait un atelier dans un immeuble où elle avait remarqué le manège de cet homme. Deux fois par semaine, régulièrement, il venait se poster nu à cette fenêtre, aussi voyeur qu’exhibitionniste. Elle n’a eu ensuite qu’à caler sa caméra pour le filmer. Cette plongée dans une histoire réelle rend la scène évidemment beaucoup plus intéressante. La Salle de bains a sorti sous une forme de carte postale un autre travail de l’artiste. Il s’agit d’un vélo qui, en pleine rue, se transforme en un support vivant de verdure. Un bout de paysage sur la macadam de la ville.
Hauviette Bethemont
D’une part, une installation vidéo dont le film, réalisé à Berlin en 1996, a déjà été montré au Centre National de la Photographie à Paris. La vue du film est celle d’une cour d’immeuble. Elle remplace, le temps d’une exposition, la cour de La Salle de bains en prenant sa place dans la vitrine. La bande sonore qui accompagne le film joue à l’inverse du home cinéma un son distant de l’image, celui d’une personne déambulant dans un intérieur.
D’autre part, une photographie éditée en carte postale à 1000 exemplaires et qui fait suite encore une fois à un séjour en Allemagne, à Bonn cette fois. La photographie a été prise dans la rue et nous montre deux vélos recouverts par les liserons jaillissant d’une plate-bande. Véritable icône photographique de l’amour et de l’abandon, l’image s’est imposée d’elle même comme une carte postale.
Valérie Parenson
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“Ce n’est pas moi qui ai eu l’idée de montrer un exhibitionniste, il est venu à moi et forcément il y a une histoire qui a commencé… L’image montre la façade d’une résidence berlinoise orientée sur cour, le mur est recouvert d’un enduit orange. Entre la vitre de mon appartement et l’immeuble que je regarde s’élève le tronc dépouillé d’un marronnier, il n’y a pas de vent, pas d’oiseaux, pas de bruit ; le film se situe au milieu de l’hiver. Il habite en face, au deuxième, un étage au-dessus du mien. Exclusivement le dimanche ou les jours fériés, un homme nu apparaît et disparaît régulièrement derrière sa fenêtre, il y reste des heures ; de temps à autre il s’éloigne de ma vue, en prenant son temps, doucement, il s’assied sur ce qui doit être son lit. L’homme a une relation muette avec moi, il se tient debout, comme sur le devant d’une scène de théâtre, rideaux fermés ; rideaux à demi clos ; rideaux largement ouverts. Je travaille au premier étage de cet immeuble qui est vide de tout autre occupant le week-end, je suis seule avec lui, j’attends, et je le filme.” - Propos recueillis par Elisabeth Lebovici.
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[PRESSE] Les Petites affiches lyonnaises, Mars 2001
L’art est une histoire de regard. Le regard que porte l’artiste sur le monde, le monde vu par l’autre qui mate encore et toujours… Une forme qui se confond et se fond sur la toile, le volume ou l’écran, et ne prend sens que dans le parcours des yeux du spectateur. Une histoire de voyeur, avec tout ce que cela peut comporter de sous-entendu puisque, à travers ce désir inassouvi de voir, l’art ne fait que révéler la part d’interdit, une part d’obscénité, cet étrange moment où la scène dévoile le hors-scène.
On ne peut, dit-on, contempler ni la scène primale, ni Dieu et, du coup, les efforts de reproduire au-delà du simple réel semblent inépuisablement voués à l’échec. La vidéo d’Élisabeth Ballet présentée à la Salle de bains ne parle somme toute que de cette faille existentielle. De la défaite évidente et fragile des mateurs solitaires, dans un cadre simple, sans plans de coupe, une caméra immobile enregistre avec discrétion les agissements inavouables d’un homme encore plus discret. On ne voit qu’une façade dans une cour d’immeuble, un arbre sans feuille qui coupe et compose l’image.
Dès lors, en arrière fond, le spectateur ne peut que se focaliser sur le seul être vivant de cette nature morte urbaine. Derrière un rideau de dentelle, comme une sentinelle ridicule, il se tient nu dans l’encadrement de la fenêtre. Et il regarde, on ne sait pas ce qui l’absorbe à ce point, on ne comprend pas où se dirige vraiment son regard à lui. Le nôtre est rivé sur ses gestes, la pâle ossature, le corps vieilli qui statufie les bras le long du corps. Puis il bouge, les bras, les mains se mettent à la hauteur du sexe. Le rebord nous cache les jambes, nous subtilise l’objet qui pourrait à tout moment démontrer les émotions par trop réelles de l’individu.
Par un subtil jeu de miroir, le spectateur se retrouve en position de voyeur, on guette l’impossible, la réalisation de ce désir flottant, l’instant où l’on pourrait basculer enfin vers une libération des tensions sous-jacentes. Le son seul accompagne l’espace d’exposition, des bruits de pas, des va-et-vient furtifs, des déplacements intrigants à l’intérieur d’un appartement. Ce déplacement virtuel nous renvoie alors au face à face incontournable, à l’artiste, l’autre personnage de ce film qui se cache, elle aussi, derrière la caméra, mais pour mieux épier le déroulement de l’histoire. Sur ce scénario très simple, Élisabeth Ballet arrive à injecter une narration pleine de sens, elle joue sur les transgressions du regard, sur le dévoilement de ce dernier et sur sa silencieuse présence.
L’homme à sa fenêtre, la jeune femme dans sa chambre, un croisement sans réalité, sans chair. Il n’y a aucune issue, entre le désir et son objet. Juste ce corps en silhouette et ce souffle de vie que l’on perçoit. L’homme qui se caresse dans l’immobilité et ce pas qui traverse un espace imaginaire ressemblent à deux territoires étrangers, mais terriblement liés. La force du regard provoque la convoitise et tout simplement la demande. Une demande qui ne peut que se répercuter dans la rage de son refus. L’homme nu n’est plus qu’une figure, celle de l’impuissance et de la solitude qui vous prend plus sûrement à la gorge qu’une liaison heureuse et amoureuse. Dans la rigidité de son décor, il finit par n’être qu’un personnage symbolique d’aspiration et de besoin, mais qui ne peut ou ne veut réellement les assouvir. À la fin de la vidéo, on n’aura pas vu grand-chose, pas de désignation évidente de l’érotisme, pas de sexe en érection, pas de scène frénétique de masturbation, mais cependant, lorsqu’il laisse sa main faire retomber le rideau, comme on peut le faire à la fin d’un spectacle,
on sait que l’on vient de percevoir le hors champ du désir.
Cette vidéo a été réalisée à Berlin, sans être mise en scène, Élisabeth Ballet avait un atelier dans un immeuble où elle avait remarqué le manège de cet homme. Deux fois par semaine, régulièrement, il venait se poster nu à cette fenêtre, aussi voyeur qu’exhibitionniste. Elle n’a eu ensuite qu’à caler sa caméra pour le filmer. Cette plongée dans une histoire réelle rend la scène évidemment beaucoup plus intéressante. La Salle de bains a sorti sous une forme de carte postale un autre travail de l’artiste. Il s’agit d’un vélo qui, en pleine rue, se transforme en un support vivant de verdure. Un bout de paysage sur la macadam de la ville.
Hauviette Bethemont
L’exposition d’Elisabeth Ballet à La Salle de bains se présente sous deux formes.
D’une part, une installation vidéo dont le film, réalisé à Berlin en 1996, a déjà été montré au Centre National de la Photographie à Paris. La vue du film est celle d’une cour d’immeuble. Elle remplace, le temps d’une exposition, la cour de La Salle de bains en prenant sa place dans la vitrine. La bande sonore qui accompagne le film joue à l’inverse du home cinéma un son distant de l’image, celui d’une personne déambulant dans un intérieur.
D’autre part, une photographie éditée en carte postale à 1000 exemplaires et qui fait suite encore une fois à un séjour en Allemagne, à Bonn cette fois. La photographie a été prise dans la rue et nous montre deux vélos recouverts par les liserons jaillissant d’une plate-bande. Véritable icône photographique de l’amour et de l’abandon, l’image s’est imposée d’elle même comme une carte postale.
Valérie Parenson
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“Ce n’est pas moi qui ai eu l’idée de montrer un exhibitionniste, il est venu à moi et forcément il y a une histoire qui a commencé… L’image montre la façade d’une résidence berlinoise orientée sur cour, le mur est recouvert d’un enduit orange. Entre la vitre de mon appartement et l’immeuble que je regarde s’élève le tronc dépouillé d’un marronnier, il n’y a pas de vent, pas d’oiseaux, pas de bruit ; le film se situe au milieu de l’hiver. Il habite en face, au deuxième, un étage au-dessus du mien. Exclusivement le dimanche ou les jours fériés, un homme nu apparaît et disparaît régulièrement derrière sa fenêtre, il y reste des heures ; de temps à autre il s’éloigne de ma vue, en prenant son temps, doucement, il s’assied sur ce qui doit être son lit. L’homme a une relation muette avec moi, il se tient debout, comme sur le devant d’une scène de théâtre, rideaux fermés ; rideaux à demi clos ; rideaux largement ouverts. Je travaille au premier étage de cet immeuble qui est vide de tout autre occupant le week-end, je suis seule avec lui, j’attends, et je le filme.” - Propos recueillis par Elisabeth Lebovici.
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[PRESSE] Les Petites affiches lyonnaises, Mars 2001
L’art est une histoire de regard. Le regard que porte l’artiste sur le monde, le monde vu par l’autre qui mate encore et toujours… Une forme qui se confond et se fond sur la toile, le volume ou l’écran, et ne prend sens que dans le parcours des yeux du spectateur. Une histoire de voyeur, avec tout ce que cela peut comporter de sous-entendu puisque, à travers ce désir inassouvi de voir, l’art ne fait que révéler la part d’interdit, une part d’obscénité, cet étrange moment où la scène dévoile le hors-scène.
On ne peut, dit-on, contempler ni la scène primale, ni Dieu et, du coup, les efforts de reproduire au-delà du simple réel semblent inépuisablement voués à l’échec. La vidéo d’Élisabeth Ballet présentée à la Salle de bains ne parle somme toute que de cette faille existentielle. De la défaite évidente et fragile des mateurs solitaires, dans un cadre simple, sans plans de coupe, une caméra immobile enregistre avec discrétion les agissements inavouables d’un homme encore plus discret. On ne voit qu’une façade dans une cour d’immeuble, un arbre sans feuille qui coupe et compose l’image.
Dès lors, en arrière fond, le spectateur ne peut que se focaliser sur le seul être vivant de cette nature morte urbaine. Derrière un rideau de dentelle, comme une sentinelle ridicule, il se tient nu dans l’encadrement de la fenêtre. Et il regarde, on ne sait pas ce qui l’absorbe à ce point, on ne comprend pas où se dirige vraiment son regard à lui. Le nôtre est rivé sur ses gestes, la pâle ossature, le corps vieilli qui statufie les bras le long du corps. Puis il bouge, les bras, les mains se mettent à la hauteur du sexe. Le rebord nous cache les jambes, nous subtilise l’objet qui pourrait à tout moment démontrer les émotions par trop réelles de l’individu.
Par un subtil jeu de miroir, le spectateur se retrouve en position de voyeur, on guette l’impossible, la réalisation de ce désir flottant, l’instant où l’on pourrait basculer enfin vers une libération des tensions sous-jacentes. Le son seul accompagne l’espace d’exposition, des bruits de pas, des va-et-vient furtifs, des déplacements intrigants à l’intérieur d’un appartement. Ce déplacement virtuel nous renvoie alors au face à face incontournable, à l’artiste, l’autre personnage de ce film qui se cache, elle aussi, derrière la caméra, mais pour mieux épier le déroulement de l’histoire. Sur ce scénario très simple, Élisabeth Ballet arrive à injecter une narration pleine de sens, elle joue sur les transgressions du regard, sur le dévoilement de ce dernier et sur sa silencieuse présence.
L’homme à sa fenêtre, la jeune femme dans sa chambre, un croisement sans réalité, sans chair. Il n’y a aucune issue, entre le désir et son objet. Juste ce corps en silhouette et ce souffle de vie que l’on perçoit. L’homme qui se caresse dans l’immobilité et ce pas qui traverse un espace imaginaire ressemblent à deux territoires étrangers, mais terriblement liés. La force du regard provoque la convoitise et tout simplement la demande. Une demande qui ne peut que se répercuter dans la rage de son refus. L’homme nu n’est plus qu’une figure, celle de l’impuissance et de la solitude qui vous prend plus sûrement à la gorge qu’une liaison heureuse et amoureuse. Dans la rigidité de son décor, il finit par n’être qu’un personnage symbolique d’aspiration et de besoin, mais qui ne peut ou ne veut réellement les assouvir. À la fin de la vidéo, on n’aura pas vu grand-chose, pas de désignation évidente de l’érotisme, pas de sexe en érection, pas de scène frénétique de masturbation, mais cependant, lorsqu’il laisse sa main faire retomber le rideau, comme on peut le faire à la fin d’un spectacle,
on sait que l’on vient de percevoir le hors champ du désir.
Cette vidéo a été réalisée à Berlin, sans être mise en scène, Élisabeth Ballet avait un atelier dans un immeuble où elle avait remarqué le manège de cet homme. Deux fois par semaine, régulièrement, il venait se poster nu à cette fenêtre, aussi voyeur qu’exhibitionniste. Elle n’a eu ensuite qu’à caler sa caméra pour le filmer. Cette plongée dans une histoire réelle rend la scène évidemment beaucoup plus intéressante. La Salle de bains a sorti sous une forme de carte postale un autre travail de l’artiste. Il s’agit d’un vélo qui, en pleine rue, se transforme en un support vivant de verdure. Un bout de paysage sur la macadam de la ville.
Hauviette Bethemont
D’une part, une installation vidéo dont le film, réalisé à Berlin en 1996, a déjà été montré au Centre National de la Photographie à Paris. La vue du film est celle d’une cour d’immeuble. Elle remplace, le temps d’une exposition, la cour de La Salle de bains en prenant sa place dans la vitrine. La bande sonore qui accompagne le film joue à l’inverse du home cinéma un son distant de l’image, celui d’une personne déambulant dans un intérieur.
D’autre part, une photographie éditée en carte postale à 1000 exemplaires et qui fait suite encore une fois à un séjour en Allemagne, à Bonn cette fois. La photographie a été prise dans la rue et nous montre deux vélos recouverts par les liserons jaillissant d’une plate-bande. Véritable icône photographique de l’amour et de l’abandon, l’image s’est imposée d’elle même comme une carte postale.
Valérie Parenson
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“Ce n’est pas moi qui ai eu l’idée de montrer un exhibitionniste, il est venu à moi et forcément il y a une histoire qui a commencé… L’image montre la façade d’une résidence berlinoise orientée sur cour, le mur est recouvert d’un enduit orange. Entre la vitre de mon appartement et l’immeuble que je regarde s’élève le tronc dépouillé d’un marronnier, il n’y a pas de vent, pas d’oiseaux, pas de bruit ; le film se situe au milieu de l’hiver. Il habite en face, au deuxième, un étage au-dessus du mien. Exclusivement le dimanche ou les jours fériés, un homme nu apparaît et disparaît régulièrement derrière sa fenêtre, il y reste des heures ; de temps à autre il s’éloigne de ma vue, en prenant son temps, doucement, il s’assied sur ce qui doit être son lit. L’homme a une relation muette avec moi, il se tient debout, comme sur le devant d’une scène de théâtre, rideaux fermés ; rideaux à demi clos ; rideaux largement ouverts. Je travaille au premier étage de cet immeuble qui est vide de tout autre occupant le week-end, je suis seule avec lui, j’attends, et je le filme.” - Propos recueillis par Elisabeth Lebovici.
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[PRESSE] Les Petites affiches lyonnaises, Mars 2001
L’art est une histoire de regard. Le regard que porte l’artiste sur le monde, le monde vu par l’autre qui mate encore et toujours… Une forme qui se confond et se fond sur la toile, le volume ou l’écran, et ne prend sens que dans le parcours des yeux du spectateur. Une histoire de voyeur, avec tout ce que cela peut comporter de sous-entendu puisque, à travers ce désir inassouvi de voir, l’art ne fait que révéler la part d’interdit, une part d’obscénité, cet étrange moment où la scène dévoile le hors-scène.
On ne peut, dit-on, contempler ni la scène primale, ni Dieu et, du coup, les efforts de reproduire au-delà du simple réel semblent inépuisablement voués à l’échec. La vidéo d’Élisabeth Ballet présentée à la Salle de bains ne parle somme toute que de cette faille existentielle. De la défaite évidente et fragile des mateurs solitaires, dans un cadre simple, sans plans de coupe, une caméra immobile enregistre avec discrétion les agissements inavouables d’un homme encore plus discret. On ne voit qu’une façade dans une cour d’immeuble, un arbre sans feuille qui coupe et compose l’image.
Dès lors, en arrière fond, le spectateur ne peut que se focaliser sur le seul être vivant de cette nature morte urbaine. Derrière un rideau de dentelle, comme une sentinelle ridicule, il se tient nu dans l’encadrement de la fenêtre. Et il regarde, on ne sait pas ce qui l’absorbe à ce point, on ne comprend pas où se dirige vraiment son regard à lui. Le nôtre est rivé sur ses gestes, la pâle ossature, le corps vieilli qui statufie les bras le long du corps. Puis il bouge, les bras, les mains se mettent à la hauteur du sexe. Le rebord nous cache les jambes, nous subtilise l’objet qui pourrait à tout moment démontrer les émotions par trop réelles de l’individu.
Par un subtil jeu de miroir, le spectateur se retrouve en position de voyeur, on guette l’impossible, la réalisation de ce désir flottant, l’instant où l’on pourrait basculer enfin vers une libération des tensions sous-jacentes. Le son seul accompagne l’espace d’exposition, des bruits de pas, des va-et-vient furtifs, des déplacements intrigants à l’intérieur d’un appartement. Ce déplacement virtuel nous renvoie alors au face à face incontournable, à l’artiste, l’autre personnage de ce film qui se cache, elle aussi, derrière la caméra, mais pour mieux épier le déroulement de l’histoire. Sur ce scénario très simple, Élisabeth Ballet arrive à injecter une narration pleine de sens, elle joue sur les transgressions du regard, sur le dévoilement de ce dernier et sur sa silencieuse présence.
L’homme à sa fenêtre, la jeune femme dans sa chambre, un croisement sans réalité, sans chair. Il n’y a aucune issue, entre le désir et son objet. Juste ce corps en silhouette et ce souffle de vie que l’on perçoit. L’homme qui se caresse dans l’immobilité et ce pas qui traverse un espace imaginaire ressemblent à deux territoires étrangers, mais terriblement liés. La force du regard provoque la convoitise et tout simplement la demande. Une demande qui ne peut que se répercuter dans la rage de son refus. L’homme nu n’est plus qu’une figure, celle de l’impuissance et de la solitude qui vous prend plus sûrement à la gorge qu’une liaison heureuse et amoureuse. Dans la rigidité de son décor, il finit par n’être qu’un personnage symbolique d’aspiration et de besoin, mais qui ne peut ou ne veut réellement les assouvir. À la fin de la vidéo, on n’aura pas vu grand-chose, pas de désignation évidente de l’érotisme, pas de sexe en érection, pas de scène frénétique de masturbation, mais cependant, lorsqu’il laisse sa main faire retomber le rideau, comme on peut le faire à la fin d’un spectacle,
on sait que l’on vient de percevoir le hors champ du désir.
Cette vidéo a été réalisée à Berlin, sans être mise en scène, Élisabeth Ballet avait un atelier dans un immeuble où elle avait remarqué le manège de cet homme. Deux fois par semaine, régulièrement, il venait se poster nu à cette fenêtre, aussi voyeur qu’exhibitionniste. Elle n’a eu ensuite qu’à caler sa caméra pour le filmer. Cette plongée dans une histoire réelle rend la scène évidemment beaucoup plus intéressante. La Salle de bains a sorti sous une forme de carte postale un autre travail de l’artiste. Il s’agit d’un vélo qui, en pleine rue, se transforme en un support vivant de verdure. Un bout de paysage sur la macadam de la ville.
Hauviette Bethemont

Schluterstrasser, Berlin le matin, 2001
Affiche
Elisabeth Ballet, née en 1957 (France).
Vit et travaille à Paris.
Vit et travaille à Paris.
Elisabeth Ballet, née en 1957 (France).
Vit et travaille à Paris.
Vit et travaille à Paris.