









Photos : Aurélie Leplatre / © La Salle de bains
Photos : Aurélie Leplatre / © La Salle de bains
Cornet
Du 14 février au 26 mars 2011From 14 February to 26 March 2011
Genêt Mayor est un jeune artiste suisse. Né en 1976, il vit à Cheseaux-sur-Lausanne dans le canton de Vaud, près de Lausanne. Ses sculptures, assemblages ou dessins s'organisent en un répertoire de supports incongrus et d'objets trouvés que l'artiste orne de couleurs vives et de motifs abstraits, laissant apparaître par intermittence des éléments figuratifs, fantastiques et imaginaires. Que ce soit par des effets de test projectif ou par le biais de fragments figuratifs, les œuvres se chargent de fragments d'histoires et de potentiels indices narratifs. L'univers de Mayor demeure telle une bulle quelque peu isolée du monde, entre le microcosme fictif et la collection personnelle d'objets exotiques. Tel un commissaire d'exposition ou un metteur en scène, l'artiste joue avec sa propre production d'objets. Le display, la mise en regard des œuvres les unes par rapport aux autres, fait partie inhérente de la pratique artistique de Mayor. À chaque exposition, il expérimente différents moyens d'exposer, via des dispositifs aux connotations muséographiques diverses (cabinet de curiosité, galerie de sculptures, musée d'ethnographie, reconstitution d'habitat domestique ou boutique de souvenir).
Le bricolage et le côté ludique, voire enfantin, sont les deux aspects qui reviennent le plus souvent dans les commentaires sur ce fourmillement d'objets propre à l'art de Mayor. Ses œuvres sont ambivalentes, parce qu'elles font référence à la tradition de l'art suisse géométrique abstrait, autant qu'elles s'en affranchissent. Ses références à la peinture abstraite sont totalement décomplexées, que ce soit en termes de savoir-faire, de hiérachie, d'historicisation ou d'histoire de circulation des formes. Depuis dix ans, l'artiste n'a d'ailleurs pas daigné utiliser une toile ni un châssis! Et pour cause, Mayor se définit comme un sculpteur. Ces allusions formelles teintées d'humour deviennent donc rapidement lointaines. Mayor procède tout simplement par recherches sur des motifs abstraits. Au premier abord, ses incessantes expérimentations semblent fantasques, mais les vues d'ensemble que l'artiste en livre, révèlent toute leur logique interne, tel un index autoréférencé qui rend tangible la façon quasi-systématique dont les formes, motifs et figures sont organisés.
Caroline Soyez-Petithomme
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Interview de Genêt Mayor par Caroline Soyez-Petithomme, le 11 février 2011 à Lyon.
Caroline Soyez-Petithomme : L’installation de ton exposition personnelle à la Salle de bains est bientôt terminée. C’est une fois encore une myriade d’objets, de sculptures, de peintures et de dessins que tu nous livres. Une large diversité de formes, de couleurs, mais aussi une grande variété d’œuvres en termes d’échelle. Nous reviendrons sur ces aspects visuels et plastiques, mais pourrais-tu d'abord nous expliquer le pourquoi du titre de cette exposition : « Cornet » ?
Genêt Mayor : Il s’agit du nom d’une œuvre réalisée à l'automne 2010 et qui est présentée ici, dans l’exposition. Ce mot évoque un cornet à la crème (pâtisserie suisse), un cornet de frites ou une corne d’abondance. « Cornet » a des significations différentes en France et en Suisse où il désigne entre autres le sachet ou sac en plastique dans lequel on met ses courses. Par ailleurs, il se trouve que la majeure partie des œuvres exposées a précisément été apportée dans des cornets en papier ! Ce terme possède une racine commune avec le mot « encornet », ce qui m’arrange beaucoup, les calamars étant une de mes nombreuses passions.
CSP : Je me souviens d'une sculpture intitulée Deeply, une représentation géométrique et colorée d’un calamar géant. Ici à la Salle de bains, le calamar revient sous plusieurs formes: une sculpture abstraite et une représentation figurative (peinture et dessin sur planche de médium). Dans cette œuvre, le calamar géant tient entre ses tentacules une forme géométrique tridimensionnelle. Pourrais-tu nous en dire plus sur ces différents types de calamars ici exposés?
GM : Ces dernières années j’ai produit moins d’œuvres figuratives disons que je me suis mis à faire moins souvent appel à un imaginaire fantastique ou mythologique. Ma production a évolué avec des œuvres plus construites formellement, plus formalistes ou géométriques, avec plus d'angles droits en somme! Pour mes récentes expositions, j'ai eu envie de développer de possibles trames narratives, des bouts de fiction où interviennent notamment des monstres, des créatures etc…Pour ce tableau, La Désinvolture, je suis parti d’une image de Jonny Quest (dessin animé ou comics je ne sais plus) qui se battait contre un calamar. Je m’en suis inspiré et j’ai remplacé l’homme par une forme géométrique, ne laissant ainsi seulement visible, du moins figuratif, que le calamar géant. À 1m3 à Lausanne et à plusieurs autres reprises, j’ai essayé de confronter l’univers des monstres marins, des calamars, de ces animaux mythologiques avec d’autres mythes, autrement dit avec ceux qui gravitent autour ou résultent d’une histoire de l’abstraction géométrique. Cette schématisation du céphalopode se retrouve dans la sculpture qui est dressée dans l’espace. Ce tentacule s'intitule Jonny. C'est une représentation stylisée, géométrique. La sculpture se compose 5 planches de bois articulés verticalement comme un zigzag et maintenues entre elles par des équerres en métal.
CSP: À propos de ce tentacule, c’est, je crois, ta première sculpture à grande échelle, non?
GM : Presque oui! Dernièrement j’en ai réalisé une assez haute, pour mon exposition Mélange Promenade à Doll, à Lausanne. Auparavant, j’avais déjà fait de grandes sculptures, mais horizontales, comme étalées au sol, par exemple celle du calamar géant montré à 1m3 et dont on parlait précédemment. Cela correspond simplement à un désir personnel de changer de format, d’expérimenter autre chose que des objets de petite taille.
CSP : Des objets de petite taille, il y en a cependant encore beaucoup et ici ils sont notamment posés au sol, alors qu’habituellement tu les poses plutôt en hauteur ou selon des agencements rappelant des environnements domestiques. Tu as tenté donc quelque chose de totalement différent où le dispositif de monstration est beaucoup moins important. Il y a peut-être un effet moins "cabinet de curiosité", un côté moins "objets de déco" aussi.
GM : Je voulais présenter ces objets comme des sculptures à part entière, au sens traditionnel du terme, des objets tridimensionnels autour desquels on peut tourner. Ce rapport aux objets qui oblige le visiteur à se pencher est inédit et me plaît beaucoup, jusqu'à aujourd'hui je n’avais jamais présenté mes œuvres ainsi.
CSP : Au premier regard, les œuvres rassemblées dans la grande salle de la Salle de bains donnent l'impression d'une pratique très hétéroclite et foisonnante. Le côté mystérieux, voire faussement ésotérique de certains objets persiste. Mais cette première impression de désordre cède rapidement la place à l'effet inverse: celui d'une production très organisée, qui s'ordonne selon une logique qui certes t'est très personnelle, mais à laquelle le spectateur a accès au moins visuellement, notamment par la répétition. On distingue donc de possibles classifications par types d'objets, de motifs, de supports etc…
GM : Mon travail participe avant tout de l’assemblage et de la trouvaille d'objets usités ou nouveaux, rarement banals en fait (par exemple, les écorces d'arbres pour vivarium ou les pierres trouées destinés à l'exercice des poissons dans les aquariums). Ensuite vient la peinture, les motifs, la matière en elle-même, l’acrylique par exemple, mais ce n'est qu'un simple outil qui sert à mettre en valeur ou en évidence l’objet. Contrairement au dessin qui est clairement du dessin et rien d’autre, mes peintures sur ces objets n’appartiennent pas au domaine de la peinture, mais à celui de la sculpture. Je me définis comme un sculpteur. Je suis dans l’exploration des formes, des supports, donc pour un objet je vais trouver différentes manières de le combiner à d’autres, de l’orner etc…Je m’intéresse à énormément de choses, mon travail est simplement à l’image de cela! Quand je suis dans mon atelier, je passe sans cesse du coq-à-l'âne, les réalisations des pièces se font toujours en parallèle les unes des autres. Je cours toujours plusieurs lièvres à la fois. J’ai un appétit immense pour la fabrication, l’expérimentation et bien sûr: le bricolage. Ce mot revient inévitablement! Même s'il est selon moi très réducteur.
CSP : Malgré cet éparpillement que tu me décris, tu as quand même un objectif, une ligne de mire, un point précis vers lequel tu tends ou pas du tout ? Parce qu’il me semble que beaucoup de liens visibles, tangibles, mais pas seulement, existent entre tes œuvres.
GM : J’arrive à un stade où cet éparpillement est devenu quelque chose de très fertile, pas productif dans le sens du quantitatif, mais disons que c’est devenu un moteur, une qualité, plutôt qu’un manque d’organisation ou de concentration. J’ai l’impression que tout ce à quoi je me livre est comme un dessin, je trace des formes puis je les remplis, j’ai le sentiment de faire de même avec mes objets. Il est question de parcours, de tracés…et entre les lignes je dessine quelque chose…Le tentacule par exemple, c’est un objet, mais quand je l’imaginais je voyais ces plans s’élever dans l’espace. Depuis quelque temps, de façon quasi-inconsciente, ce sont des formes allongées qui potentiellement peuvent être déployées dans l’espace qui m’intéressent.
CSP : Tu parles de ton travail en des termes très formels, alors que visuellement l’ensemble est plutôt théâtral, du moins animé et intriguant. Tu évoques un imaginaire qui déborde largement de ces problématiques formelles.
GM : Les titres, les supports peuvent par exemple guider le spectateur sur des interprétations mystiques, ce pourrait être des objets ramenés d’un voyage dans un pays exotique, on dirait parfois aussi des objets de culte…j’aime bien que mes objets racontent des choses, qu’il y ait un mystère amusant mais sans en dire trop ! Mon but n'est absolument pas de construire une quelconque narration qui soutiendrait toute ma production !
CSP: Ces fragments figuratifs sont comme des balises. Pour en revenir aux monstres marins, la figure du Loch Ness est également récurrente dans ton œuvre. Ici, il fait irruption sous des formes géométriques, orné de motifs très colorés et il est fixé sur un petit socle, un morceau de planche de bois peinte en bleu. Tu as choisi de le présenter au sol, à côté d'autres objets de même échelle c'est-à-dire de petite taille.
GM: Il s'agit effectivement de Nessie, le mythologique et mythique serpent de mer qui dans la réalité ou dans les récits est censé être géant. Je l'ai tout simplement et je dirai une fois de plus, représenté sous sa forme la plus archétypale, on ne voit que les parties de son corps qui dépasse de l'eau. C'est une miniature…
CSP: Nessie qui est aussi représenté dans un de tes nouveaux dessins.
GM: Absolument! Ces dessins sont par ailleurs une sorte de patchwork de motifs et de présentations qui se poursuit depuis plusieurs années dans mon travail…
CSP: Le dessin est une sorte de flux continu qui alimente ta pratique. C'est une production quasi-quotidienne, qui a toujours accompagné ou que tu as toujours maintenue en parallèle à tes sculptures et tes autres oeuvres. La série exposée à la Salle de bains est un peu à part par rapport au reste de tes dessins, parce que c'est une série de 22 (mais tu n'en montres que 20, pour des raisons esthétiques et de lisibilité en termes d'accrochage). Ce ne sont donc pas des dessins que tu as piochés parmi les nombreux autres que tu organises simplement par année dans des classeurs. Ces dessins, bien qu'ils aient tous le même format que tous les autres (sur feuille A4), diffèrent des dessins que tu réalises habituellement, car ils sont sur des papiers au grain fin, uniquement noir et blanc et leur finition est très soignée. Contrairement au reste de ta production graphique, un seul dessin contient ici du texte, pas de recherche typographique donc, ni de juxtapositions de mots créant des associations d'idées incongrues. Habituellement, tu utilises des feuilles de brouillons, des feuilles dont le verso (et parfois même le recto) ont déjà servi, sorte d'équivalent bidimensionnel de tes objets trouvés. Ces dessins noir et blanc prennent donc un côté très sérieux ou devrais-je dire très appliqués? C'est la première fois que tu exposes cette série qui n'avait d'ailleurs initialement pas pour destination un espace d'exposition, mais une publication.
GM: Oui. Cette série s'intitule Le Jus. Elle était destinée à une publication accompagnant une de mes récentes expositions personnelles, en octobre 2010, à Fribourg en Suisse, chez Fluck-Paulus [1]. Cette publication contient un second entretien de Fabrice Stroun et moi-même (qui fait suite à celui de 2007), un texte de Tiphanie Blanc, des photographies de mes œuvres prises dans des endroits domestiques, chez leurs propriétaires ou collectionneurs et enfin, cette série de dessins réalisée pour cette occasion particulière. Ce travail de dessins que je poursuis depuis dix ans est parfois assez brut. Je récupère des circulaires, des papiers destinés à être jetés, mais aussi des dessins d'élèves que je complète et améliore. J'avais donc la volonté de me livrer à une série précise, limitée, avec un début et une fin! C'est un assemblage d'un certain nombre de choses qui sont récurrentes dans mon œuvre…
CSP: …comme des cordes, des lances, des formes abstraites tridimensionnelles, des motifs géométriques telles que ces grilles noir et blanc mouvantes, vaguement cinétiques ou ondulantes et qui se retrouvent sur un grand nombre de tes œuvres (dessins ou objets de différente taille, peints ou sur lesquels je dessine).
GM: Absolument et ce motif noir et blanc récurrent je l'appelle d'ailleurs "grillade", ce sont des suites de petits triangles noirs qui changent de direction et de taille, à partir d'une grille standard, de carreaux 5x5 par exemple. Le Jus est un bilan aussi bien qu'un inventaire…
CSP: C'est en quelque sorte un condensé, qui se distingue surtout par la précision de sa facture.
GM: J'ai toujours réalisé des illustrations noir et blanc de ce type, aussi bien en tant que dessins, que pour des pochettes de disques, des flyers…j'ai étendu ce type de dessin en en réalisant à l'encre de chine, parfois sur des grands formats. Mais je les ai rarement montrés, rarement mis en avant. Les autres dessins sont plutôt colorés, bariolés, avec des techniques mixtes. Je me suis fixé quelques contraintes, à savoir un unique stylo noir sur papier A4 blanc, dans le sens vertical.
CSP: De façon générale, tu joues beaucoup de ces contraintes imposées par les formats standard des feuilles ou des objets. Je pense ici à tes assemblages dont résultent des objets abstraits qui sont en réalité composés de tenons et mortaises ou de serre câbles. Les contraintes ou paramètres extérieurs comme moteurs de créations ou critères inhérents au processus de création font partie des sujets dont vous parlez de façon très intéressante dans les deux interviews de toi par Fabrice Stroun. Le tour de la question a donc déjà été fait il me semble. Je préfèrerai parler de ta relation au jeu et du plaisir que tu prends en réalisant tes œuvres et qui demeure ensuite tant par les formes, les couleurs que dans la scénographie.
GM: Il est certain que j'ai toujours adoré bricoler, détourner des outils et des éléments de bricolage. J'ai par ailleurs une affection profonde pour les objets, qui commence dès le magasin de bricolage. Je parle ici surtout de mes assemblages. Avant le plaisir de les partager avec le spectateur, il y a pour moi le plaisir de les faire. C'est tout simplement ainsi que j'organise mon travail, pour les œuvres sérielles, j'arrête à partir du moment où cela ne m'amuse plus, où je ne prends plus de plaisir à les réaliser et c'est ce qui devient ensuite tangible je crois. Théoriquement, je pourrais produire chacun de ces objets à l'infini. Il y a donc un point d'équilibre, un moment précis où la taille, la forme, la couleur s'équilibre, mais où c'est surtout l'intervention de l'envie ou de la lassitude qui détermine l'objet ou me fait abandonner sa réalisation. Je partage un peu avec le scientifique, disons que j'expérimente, que je vérifie en permanence si chaque élément tient ensemble et si l'ensemble, si avec les autres, cela fonctionne aussi.
Le bricolage et le côté ludique, voire enfantin, sont les deux aspects qui reviennent le plus souvent dans les commentaires sur ce fourmillement d'objets propre à l'art de Mayor. Ses œuvres sont ambivalentes, parce qu'elles font référence à la tradition de l'art suisse géométrique abstrait, autant qu'elles s'en affranchissent. Ses références à la peinture abstraite sont totalement décomplexées, que ce soit en termes de savoir-faire, de hiérachie, d'historicisation ou d'histoire de circulation des formes. Depuis dix ans, l'artiste n'a d'ailleurs pas daigné utiliser une toile ni un châssis! Et pour cause, Mayor se définit comme un sculpteur. Ces allusions formelles teintées d'humour deviennent donc rapidement lointaines. Mayor procède tout simplement par recherches sur des motifs abstraits. Au premier abord, ses incessantes expérimentations semblent fantasques, mais les vues d'ensemble que l'artiste en livre, révèlent toute leur logique interne, tel un index autoréférencé qui rend tangible la façon quasi-systématique dont les formes, motifs et figures sont organisés.
Caroline Soyez-Petithomme
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Interview de Genêt Mayor par Caroline Soyez-Petithomme, le 11 février 2011 à Lyon.
Caroline Soyez-Petithomme : L’installation de ton exposition personnelle à la Salle de bains est bientôt terminée. C’est une fois encore une myriade d’objets, de sculptures, de peintures et de dessins que tu nous livres. Une large diversité de formes, de couleurs, mais aussi une grande variété d’œuvres en termes d’échelle. Nous reviendrons sur ces aspects visuels et plastiques, mais pourrais-tu d'abord nous expliquer le pourquoi du titre de cette exposition : « Cornet » ?
Genêt Mayor : Il s’agit du nom d’une œuvre réalisée à l'automne 2010 et qui est présentée ici, dans l’exposition. Ce mot évoque un cornet à la crème (pâtisserie suisse), un cornet de frites ou une corne d’abondance. « Cornet » a des significations différentes en France et en Suisse où il désigne entre autres le sachet ou sac en plastique dans lequel on met ses courses. Par ailleurs, il se trouve que la majeure partie des œuvres exposées a précisément été apportée dans des cornets en papier ! Ce terme possède une racine commune avec le mot « encornet », ce qui m’arrange beaucoup, les calamars étant une de mes nombreuses passions.
CSP : Je me souviens d'une sculpture intitulée Deeply, une représentation géométrique et colorée d’un calamar géant. Ici à la Salle de bains, le calamar revient sous plusieurs formes: une sculpture abstraite et une représentation figurative (peinture et dessin sur planche de médium). Dans cette œuvre, le calamar géant tient entre ses tentacules une forme géométrique tridimensionnelle. Pourrais-tu nous en dire plus sur ces différents types de calamars ici exposés?
GM : Ces dernières années j’ai produit moins d’œuvres figuratives disons que je me suis mis à faire moins souvent appel à un imaginaire fantastique ou mythologique. Ma production a évolué avec des œuvres plus construites formellement, plus formalistes ou géométriques, avec plus d'angles droits en somme! Pour mes récentes expositions, j'ai eu envie de développer de possibles trames narratives, des bouts de fiction où interviennent notamment des monstres, des créatures etc…Pour ce tableau, La Désinvolture, je suis parti d’une image de Jonny Quest (dessin animé ou comics je ne sais plus) qui se battait contre un calamar. Je m’en suis inspiré et j’ai remplacé l’homme par une forme géométrique, ne laissant ainsi seulement visible, du moins figuratif, que le calamar géant. À 1m3 à Lausanne et à plusieurs autres reprises, j’ai essayé de confronter l’univers des monstres marins, des calamars, de ces animaux mythologiques avec d’autres mythes, autrement dit avec ceux qui gravitent autour ou résultent d’une histoire de l’abstraction géométrique. Cette schématisation du céphalopode se retrouve dans la sculpture qui est dressée dans l’espace. Ce tentacule s'intitule Jonny. C'est une représentation stylisée, géométrique. La sculpture se compose 5 planches de bois articulés verticalement comme un zigzag et maintenues entre elles par des équerres en métal.
CSP: À propos de ce tentacule, c’est, je crois, ta première sculpture à grande échelle, non?
GM : Presque oui! Dernièrement j’en ai réalisé une assez haute, pour mon exposition Mélange Promenade à Doll, à Lausanne. Auparavant, j’avais déjà fait de grandes sculptures, mais horizontales, comme étalées au sol, par exemple celle du calamar géant montré à 1m3 et dont on parlait précédemment. Cela correspond simplement à un désir personnel de changer de format, d’expérimenter autre chose que des objets de petite taille.
CSP : Des objets de petite taille, il y en a cependant encore beaucoup et ici ils sont notamment posés au sol, alors qu’habituellement tu les poses plutôt en hauteur ou selon des agencements rappelant des environnements domestiques. Tu as tenté donc quelque chose de totalement différent où le dispositif de monstration est beaucoup moins important. Il y a peut-être un effet moins "cabinet de curiosité", un côté moins "objets de déco" aussi.
GM : Je voulais présenter ces objets comme des sculptures à part entière, au sens traditionnel du terme, des objets tridimensionnels autour desquels on peut tourner. Ce rapport aux objets qui oblige le visiteur à se pencher est inédit et me plaît beaucoup, jusqu'à aujourd'hui je n’avais jamais présenté mes œuvres ainsi.
CSP : Au premier regard, les œuvres rassemblées dans la grande salle de la Salle de bains donnent l'impression d'une pratique très hétéroclite et foisonnante. Le côté mystérieux, voire faussement ésotérique de certains objets persiste. Mais cette première impression de désordre cède rapidement la place à l'effet inverse: celui d'une production très organisée, qui s'ordonne selon une logique qui certes t'est très personnelle, mais à laquelle le spectateur a accès au moins visuellement, notamment par la répétition. On distingue donc de possibles classifications par types d'objets, de motifs, de supports etc…
GM : Mon travail participe avant tout de l’assemblage et de la trouvaille d'objets usités ou nouveaux, rarement banals en fait (par exemple, les écorces d'arbres pour vivarium ou les pierres trouées destinés à l'exercice des poissons dans les aquariums). Ensuite vient la peinture, les motifs, la matière en elle-même, l’acrylique par exemple, mais ce n'est qu'un simple outil qui sert à mettre en valeur ou en évidence l’objet. Contrairement au dessin qui est clairement du dessin et rien d’autre, mes peintures sur ces objets n’appartiennent pas au domaine de la peinture, mais à celui de la sculpture. Je me définis comme un sculpteur. Je suis dans l’exploration des formes, des supports, donc pour un objet je vais trouver différentes manières de le combiner à d’autres, de l’orner etc…Je m’intéresse à énormément de choses, mon travail est simplement à l’image de cela! Quand je suis dans mon atelier, je passe sans cesse du coq-à-l'âne, les réalisations des pièces se font toujours en parallèle les unes des autres. Je cours toujours plusieurs lièvres à la fois. J’ai un appétit immense pour la fabrication, l’expérimentation et bien sûr: le bricolage. Ce mot revient inévitablement! Même s'il est selon moi très réducteur.
CSP : Malgré cet éparpillement que tu me décris, tu as quand même un objectif, une ligne de mire, un point précis vers lequel tu tends ou pas du tout ? Parce qu’il me semble que beaucoup de liens visibles, tangibles, mais pas seulement, existent entre tes œuvres.
GM : J’arrive à un stade où cet éparpillement est devenu quelque chose de très fertile, pas productif dans le sens du quantitatif, mais disons que c’est devenu un moteur, une qualité, plutôt qu’un manque d’organisation ou de concentration. J’ai l’impression que tout ce à quoi je me livre est comme un dessin, je trace des formes puis je les remplis, j’ai le sentiment de faire de même avec mes objets. Il est question de parcours, de tracés…et entre les lignes je dessine quelque chose…Le tentacule par exemple, c’est un objet, mais quand je l’imaginais je voyais ces plans s’élever dans l’espace. Depuis quelque temps, de façon quasi-inconsciente, ce sont des formes allongées qui potentiellement peuvent être déployées dans l’espace qui m’intéressent.
CSP : Tu parles de ton travail en des termes très formels, alors que visuellement l’ensemble est plutôt théâtral, du moins animé et intriguant. Tu évoques un imaginaire qui déborde largement de ces problématiques formelles.
GM : Les titres, les supports peuvent par exemple guider le spectateur sur des interprétations mystiques, ce pourrait être des objets ramenés d’un voyage dans un pays exotique, on dirait parfois aussi des objets de culte…j’aime bien que mes objets racontent des choses, qu’il y ait un mystère amusant mais sans en dire trop ! Mon but n'est absolument pas de construire une quelconque narration qui soutiendrait toute ma production !
CSP: Ces fragments figuratifs sont comme des balises. Pour en revenir aux monstres marins, la figure du Loch Ness est également récurrente dans ton œuvre. Ici, il fait irruption sous des formes géométriques, orné de motifs très colorés et il est fixé sur un petit socle, un morceau de planche de bois peinte en bleu. Tu as choisi de le présenter au sol, à côté d'autres objets de même échelle c'est-à-dire de petite taille.
GM: Il s'agit effectivement de Nessie, le mythologique et mythique serpent de mer qui dans la réalité ou dans les récits est censé être géant. Je l'ai tout simplement et je dirai une fois de plus, représenté sous sa forme la plus archétypale, on ne voit que les parties de son corps qui dépasse de l'eau. C'est une miniature…
CSP: Nessie qui est aussi représenté dans un de tes nouveaux dessins.
GM: Absolument! Ces dessins sont par ailleurs une sorte de patchwork de motifs et de présentations qui se poursuit depuis plusieurs années dans mon travail…
CSP: Le dessin est une sorte de flux continu qui alimente ta pratique. C'est une production quasi-quotidienne, qui a toujours accompagné ou que tu as toujours maintenue en parallèle à tes sculptures et tes autres oeuvres. La série exposée à la Salle de bains est un peu à part par rapport au reste de tes dessins, parce que c'est une série de 22 (mais tu n'en montres que 20, pour des raisons esthétiques et de lisibilité en termes d'accrochage). Ce ne sont donc pas des dessins que tu as piochés parmi les nombreux autres que tu organises simplement par année dans des classeurs. Ces dessins, bien qu'ils aient tous le même format que tous les autres (sur feuille A4), diffèrent des dessins que tu réalises habituellement, car ils sont sur des papiers au grain fin, uniquement noir et blanc et leur finition est très soignée. Contrairement au reste de ta production graphique, un seul dessin contient ici du texte, pas de recherche typographique donc, ni de juxtapositions de mots créant des associations d'idées incongrues. Habituellement, tu utilises des feuilles de brouillons, des feuilles dont le verso (et parfois même le recto) ont déjà servi, sorte d'équivalent bidimensionnel de tes objets trouvés. Ces dessins noir et blanc prennent donc un côté très sérieux ou devrais-je dire très appliqués? C'est la première fois que tu exposes cette série qui n'avait d'ailleurs initialement pas pour destination un espace d'exposition, mais une publication.
GM: Oui. Cette série s'intitule Le Jus. Elle était destinée à une publication accompagnant une de mes récentes expositions personnelles, en octobre 2010, à Fribourg en Suisse, chez Fluck-Paulus [1]. Cette publication contient un second entretien de Fabrice Stroun et moi-même (qui fait suite à celui de 2007), un texte de Tiphanie Blanc, des photographies de mes œuvres prises dans des endroits domestiques, chez leurs propriétaires ou collectionneurs et enfin, cette série de dessins réalisée pour cette occasion particulière. Ce travail de dessins que je poursuis depuis dix ans est parfois assez brut. Je récupère des circulaires, des papiers destinés à être jetés, mais aussi des dessins d'élèves que je complète et améliore. J'avais donc la volonté de me livrer à une série précise, limitée, avec un début et une fin! C'est un assemblage d'un certain nombre de choses qui sont récurrentes dans mon œuvre…
CSP: …comme des cordes, des lances, des formes abstraites tridimensionnelles, des motifs géométriques telles que ces grilles noir et blanc mouvantes, vaguement cinétiques ou ondulantes et qui se retrouvent sur un grand nombre de tes œuvres (dessins ou objets de différente taille, peints ou sur lesquels je dessine).
GM: Absolument et ce motif noir et blanc récurrent je l'appelle d'ailleurs "grillade", ce sont des suites de petits triangles noirs qui changent de direction et de taille, à partir d'une grille standard, de carreaux 5x5 par exemple. Le Jus est un bilan aussi bien qu'un inventaire…
CSP: C'est en quelque sorte un condensé, qui se distingue surtout par la précision de sa facture.
GM: J'ai toujours réalisé des illustrations noir et blanc de ce type, aussi bien en tant que dessins, que pour des pochettes de disques, des flyers…j'ai étendu ce type de dessin en en réalisant à l'encre de chine, parfois sur des grands formats. Mais je les ai rarement montrés, rarement mis en avant. Les autres dessins sont plutôt colorés, bariolés, avec des techniques mixtes. Je me suis fixé quelques contraintes, à savoir un unique stylo noir sur papier A4 blanc, dans le sens vertical.
CSP: De façon générale, tu joues beaucoup de ces contraintes imposées par les formats standard des feuilles ou des objets. Je pense ici à tes assemblages dont résultent des objets abstraits qui sont en réalité composés de tenons et mortaises ou de serre câbles. Les contraintes ou paramètres extérieurs comme moteurs de créations ou critères inhérents au processus de création font partie des sujets dont vous parlez de façon très intéressante dans les deux interviews de toi par Fabrice Stroun. Le tour de la question a donc déjà été fait il me semble. Je préfèrerai parler de ta relation au jeu et du plaisir que tu prends en réalisant tes œuvres et qui demeure ensuite tant par les formes, les couleurs que dans la scénographie.
GM: Il est certain que j'ai toujours adoré bricoler, détourner des outils et des éléments de bricolage. J'ai par ailleurs une affection profonde pour les objets, qui commence dès le magasin de bricolage. Je parle ici surtout de mes assemblages. Avant le plaisir de les partager avec le spectateur, il y a pour moi le plaisir de les faire. C'est tout simplement ainsi que j'organise mon travail, pour les œuvres sérielles, j'arrête à partir du moment où cela ne m'amuse plus, où je ne prends plus de plaisir à les réaliser et c'est ce qui devient ensuite tangible je crois. Théoriquement, je pourrais produire chacun de ces objets à l'infini. Il y a donc un point d'équilibre, un moment précis où la taille, la forme, la couleur s'équilibre, mais où c'est surtout l'intervention de l'envie ou de la lassitude qui détermine l'objet ou me fait abandonner sa réalisation. Je partage un peu avec le scientifique, disons que j'expérimente, que je vérifie en permanence si chaque élément tient ensemble et si l'ensemble, si avec les autres, cela fonctionne aussi.
Genêt Mayor est un jeune artiste suisse. Né en 1976, il vit à Cheseaux-sur-Lausanne dans le canton de Vaud, près de Lausanne. Ses sculptures, assemblages ou dessins s'organisent en un répertoire de supports incongrus et d'objets trouvés que l'artiste orne de couleurs vives et de motifs abstraits, laissant apparaître par intermittence des éléments figuratifs, fantastiques et imaginaires. Que ce soit par des effets de test projectif ou par le biais de fragments figuratifs, les œuvres se chargent de fragments d'histoires et de potentiels indices narratifs. L'univers de Mayor demeure telle une bulle quelque peu isolée du monde, entre le microcosme fictif et la collection personnelle d'objets exotiques. Tel un commissaire d'exposition ou un metteur en scène, l'artiste joue avec sa propre production d'objets. Le display, la mise en regard des œuvres les unes par rapport aux autres, fait partie inhérente de la pratique artistique de Mayor. À chaque exposition, il expérimente différents moyens d'exposer, via des dispositifs aux connotations muséographiques diverses (cabinet de curiosité, galerie de sculptures, musée d'ethnographie, reconstitution d'habitat domestique ou boutique de souvenir).
Le bricolage et le côté ludique, voire enfantin, sont les deux aspects qui reviennent le plus souvent dans les commentaires sur ce fourmillement d'objets propre à l'art de Mayor. Ses œuvres sont ambivalentes, parce qu'elles font référence à la tradition de l'art suisse géométrique abstrait, autant qu'elles s'en affranchissent. Ses références à la peinture abstraite sont totalement décomplexées, que ce soit en termes de savoir-faire, de hiérachie, d'historicisation ou d'histoire de circulation des formes. Depuis dix ans, l'artiste n'a d'ailleurs pas daigné utiliser une toile ni un châssis! Et pour cause, Mayor se définit comme un sculpteur. Ces allusions formelles teintées d'humour deviennent donc rapidement lointaines. Mayor procède tout simplement par recherches sur des motifs abstraits. Au premier abord, ses incessantes expérimentations semblent fantasques, mais les vues d'ensemble que l'artiste en livre, révèlent toute leur logique interne, tel un index autoréférencé qui rend tangible la façon quasi-systématique dont les formes, motifs et figures sont organisés.
Caroline Soyez-Petithomme
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Interview de Genêt Mayor par Caroline Soyez-Petithomme, le 11 février 2011 à Lyon.
Caroline Soyez-Petithomme : L’installation de ton exposition personnelle à la Salle de bains est bientôt terminée. C’est une fois encore une myriade d’objets, de sculptures, de peintures et de dessins que tu nous livres. Une large diversité de formes, de couleurs, mais aussi une grande variété d’œuvres en termes d’échelle. Nous reviendrons sur ces aspects visuels et plastiques, mais pourrais-tu d'abord nous expliquer le pourquoi du titre de cette exposition : « Cornet » ?
Genêt Mayor : Il s’agit du nom d’une œuvre réalisée à l'automne 2010 et qui est présentée ici, dans l’exposition. Ce mot évoque un cornet à la crème (pâtisserie suisse), un cornet de frites ou une corne d’abondance. « Cornet » a des significations différentes en France et en Suisse où il désigne entre autres le sachet ou sac en plastique dans lequel on met ses courses. Par ailleurs, il se trouve que la majeure partie des œuvres exposées a précisément été apportée dans des cornets en papier ! Ce terme possède une racine commune avec le mot « encornet », ce qui m’arrange beaucoup, les calamars étant une de mes nombreuses passions.
CSP : Je me souviens d'une sculpture intitulée Deeply, une représentation géométrique et colorée d’un calamar géant. Ici à la Salle de bains, le calamar revient sous plusieurs formes: une sculpture abstraite et une représentation figurative (peinture et dessin sur planche de médium). Dans cette œuvre, le calamar géant tient entre ses tentacules une forme géométrique tridimensionnelle. Pourrais-tu nous en dire plus sur ces différents types de calamars ici exposés?
GM : Ces dernières années j’ai produit moins d’œuvres figuratives disons que je me suis mis à faire moins souvent appel à un imaginaire fantastique ou mythologique. Ma production a évolué avec des œuvres plus construites formellement, plus formalistes ou géométriques, avec plus d'angles droits en somme! Pour mes récentes expositions, j'ai eu envie de développer de possibles trames narratives, des bouts de fiction où interviennent notamment des monstres, des créatures etc…Pour ce tableau, La Désinvolture, je suis parti d’une image de Jonny Quest (dessin animé ou comics je ne sais plus) qui se battait contre un calamar. Je m’en suis inspiré et j’ai remplacé l’homme par une forme géométrique, ne laissant ainsi seulement visible, du moins figuratif, que le calamar géant. À 1m3 à Lausanne et à plusieurs autres reprises, j’ai essayé de confronter l’univers des monstres marins, des calamars, de ces animaux mythologiques avec d’autres mythes, autrement dit avec ceux qui gravitent autour ou résultent d’une histoire de l’abstraction géométrique. Cette schématisation du céphalopode se retrouve dans la sculpture qui est dressée dans l’espace. Ce tentacule s'intitule Jonny. C'est une représentation stylisée, géométrique. La sculpture se compose 5 planches de bois articulés verticalement comme un zigzag et maintenues entre elles par des équerres en métal.
CSP: À propos de ce tentacule, c’est, je crois, ta première sculpture à grande échelle, non?
GM : Presque oui! Dernièrement j’en ai réalisé une assez haute, pour mon exposition Mélange Promenade à Doll, à Lausanne. Auparavant, j’avais déjà fait de grandes sculptures, mais horizontales, comme étalées au sol, par exemple celle du calamar géant montré à 1m3 et dont on parlait précédemment. Cela correspond simplement à un désir personnel de changer de format, d’expérimenter autre chose que des objets de petite taille.
CSP : Des objets de petite taille, il y en a cependant encore beaucoup et ici ils sont notamment posés au sol, alors qu’habituellement tu les poses plutôt en hauteur ou selon des agencements rappelant des environnements domestiques. Tu as tenté donc quelque chose de totalement différent où le dispositif de monstration est beaucoup moins important. Il y a peut-être un effet moins "cabinet de curiosité", un côté moins "objets de déco" aussi.
GM : Je voulais présenter ces objets comme des sculptures à part entière, au sens traditionnel du terme, des objets tridimensionnels autour desquels on peut tourner. Ce rapport aux objets qui oblige le visiteur à se pencher est inédit et me plaît beaucoup, jusqu'à aujourd'hui je n’avais jamais présenté mes œuvres ainsi.
CSP : Au premier regard, les œuvres rassemblées dans la grande salle de la Salle de bains donnent l'impression d'une pratique très hétéroclite et foisonnante. Le côté mystérieux, voire faussement ésotérique de certains objets persiste. Mais cette première impression de désordre cède rapidement la place à l'effet inverse: celui d'une production très organisée, qui s'ordonne selon une logique qui certes t'est très personnelle, mais à laquelle le spectateur a accès au moins visuellement, notamment par la répétition. On distingue donc de possibles classifications par types d'objets, de motifs, de supports etc…
GM : Mon travail participe avant tout de l’assemblage et de la trouvaille d'objets usités ou nouveaux, rarement banals en fait (par exemple, les écorces d'arbres pour vivarium ou les pierres trouées destinés à l'exercice des poissons dans les aquariums). Ensuite vient la peinture, les motifs, la matière en elle-même, l’acrylique par exemple, mais ce n'est qu'un simple outil qui sert à mettre en valeur ou en évidence l’objet. Contrairement au dessin qui est clairement du dessin et rien d’autre, mes peintures sur ces objets n’appartiennent pas au domaine de la peinture, mais à celui de la sculpture. Je me définis comme un sculpteur. Je suis dans l’exploration des formes, des supports, donc pour un objet je vais trouver différentes manières de le combiner à d’autres, de l’orner etc…Je m’intéresse à énormément de choses, mon travail est simplement à l’image de cela! Quand je suis dans mon atelier, je passe sans cesse du coq-à-l'âne, les réalisations des pièces se font toujours en parallèle les unes des autres. Je cours toujours plusieurs lièvres à la fois. J’ai un appétit immense pour la fabrication, l’expérimentation et bien sûr: le bricolage. Ce mot revient inévitablement! Même s'il est selon moi très réducteur.
CSP : Malgré cet éparpillement que tu me décris, tu as quand même un objectif, une ligne de mire, un point précis vers lequel tu tends ou pas du tout ? Parce qu’il me semble que beaucoup de liens visibles, tangibles, mais pas seulement, existent entre tes œuvres.
GM : J’arrive à un stade où cet éparpillement est devenu quelque chose de très fertile, pas productif dans le sens du quantitatif, mais disons que c’est devenu un moteur, une qualité, plutôt qu’un manque d’organisation ou de concentration. J’ai l’impression que tout ce à quoi je me livre est comme un dessin, je trace des formes puis je les remplis, j’ai le sentiment de faire de même avec mes objets. Il est question de parcours, de tracés…et entre les lignes je dessine quelque chose…Le tentacule par exemple, c’est un objet, mais quand je l’imaginais je voyais ces plans s’élever dans l’espace. Depuis quelque temps, de façon quasi-inconsciente, ce sont des formes allongées qui potentiellement peuvent être déployées dans l’espace qui m’intéressent.
CSP : Tu parles de ton travail en des termes très formels, alors que visuellement l’ensemble est plutôt théâtral, du moins animé et intriguant. Tu évoques un imaginaire qui déborde largement de ces problématiques formelles.
GM : Les titres, les supports peuvent par exemple guider le spectateur sur des interprétations mystiques, ce pourrait être des objets ramenés d’un voyage dans un pays exotique, on dirait parfois aussi des objets de culte…j’aime bien que mes objets racontent des choses, qu’il y ait un mystère amusant mais sans en dire trop ! Mon but n'est absolument pas de construire une quelconque narration qui soutiendrait toute ma production !
CSP: Ces fragments figuratifs sont comme des balises. Pour en revenir aux monstres marins, la figure du Loch Ness est également récurrente dans ton œuvre. Ici, il fait irruption sous des formes géométriques, orné de motifs très colorés et il est fixé sur un petit socle, un morceau de planche de bois peinte en bleu. Tu as choisi de le présenter au sol, à côté d'autres objets de même échelle c'est-à-dire de petite taille.
GM: Il s'agit effectivement de Nessie, le mythologique et mythique serpent de mer qui dans la réalité ou dans les récits est censé être géant. Je l'ai tout simplement et je dirai une fois de plus, représenté sous sa forme la plus archétypale, on ne voit que les parties de son corps qui dépasse de l'eau. C'est une miniature…
CSP: Nessie qui est aussi représenté dans un de tes nouveaux dessins.
GM: Absolument! Ces dessins sont par ailleurs une sorte de patchwork de motifs et de présentations qui se poursuit depuis plusieurs années dans mon travail…
CSP: Le dessin est une sorte de flux continu qui alimente ta pratique. C'est une production quasi-quotidienne, qui a toujours accompagné ou que tu as toujours maintenue en parallèle à tes sculptures et tes autres oeuvres. La série exposée à la Salle de bains est un peu à part par rapport au reste de tes dessins, parce que c'est une série de 22 (mais tu n'en montres que 20, pour des raisons esthétiques et de lisibilité en termes d'accrochage). Ce ne sont donc pas des dessins que tu as piochés parmi les nombreux autres que tu organises simplement par année dans des classeurs. Ces dessins, bien qu'ils aient tous le même format que tous les autres (sur feuille A4), diffèrent des dessins que tu réalises habituellement, car ils sont sur des papiers au grain fin, uniquement noir et blanc et leur finition est très soignée. Contrairement au reste de ta production graphique, un seul dessin contient ici du texte, pas de recherche typographique donc, ni de juxtapositions de mots créant des associations d'idées incongrues. Habituellement, tu utilises des feuilles de brouillons, des feuilles dont le verso (et parfois même le recto) ont déjà servi, sorte d'équivalent bidimensionnel de tes objets trouvés. Ces dessins noir et blanc prennent donc un côté très sérieux ou devrais-je dire très appliqués? C'est la première fois que tu exposes cette série qui n'avait d'ailleurs initialement pas pour destination un espace d'exposition, mais une publication.
GM: Oui. Cette série s'intitule Le Jus. Elle était destinée à une publication accompagnant une de mes récentes expositions personnelles, en octobre 2010, à Fribourg en Suisse, chez Fluck-Paulus [1]. Cette publication contient un second entretien de Fabrice Stroun et moi-même (qui fait suite à celui de 2007), un texte de Tiphanie Blanc, des photographies de mes œuvres prises dans des endroits domestiques, chez leurs propriétaires ou collectionneurs et enfin, cette série de dessins réalisée pour cette occasion particulière. Ce travail de dessins que je poursuis depuis dix ans est parfois assez brut. Je récupère des circulaires, des papiers destinés à être jetés, mais aussi des dessins d'élèves que je complète et améliore. J'avais donc la volonté de me livrer à une série précise, limitée, avec un début et une fin! C'est un assemblage d'un certain nombre de choses qui sont récurrentes dans mon œuvre…
CSP: …comme des cordes, des lances, des formes abstraites tridimensionnelles, des motifs géométriques telles que ces grilles noir et blanc mouvantes, vaguement cinétiques ou ondulantes et qui se retrouvent sur un grand nombre de tes œuvres (dessins ou objets de différente taille, peints ou sur lesquels je dessine).
GM: Absolument et ce motif noir et blanc récurrent je l'appelle d'ailleurs "grillade", ce sont des suites de petits triangles noirs qui changent de direction et de taille, à partir d'une grille standard, de carreaux 5x5 par exemple. Le Jus est un bilan aussi bien qu'un inventaire…
CSP: C'est en quelque sorte un condensé, qui se distingue surtout par la précision de sa facture.
GM: J'ai toujours réalisé des illustrations noir et blanc de ce type, aussi bien en tant que dessins, que pour des pochettes de disques, des flyers…j'ai étendu ce type de dessin en en réalisant à l'encre de chine, parfois sur des grands formats. Mais je les ai rarement montrés, rarement mis en avant. Les autres dessins sont plutôt colorés, bariolés, avec des techniques mixtes. Je me suis fixé quelques contraintes, à savoir un unique stylo noir sur papier A4 blanc, dans le sens vertical.
CSP: De façon générale, tu joues beaucoup de ces contraintes imposées par les formats standard des feuilles ou des objets. Je pense ici à tes assemblages dont résultent des objets abstraits qui sont en réalité composés de tenons et mortaises ou de serre câbles. Les contraintes ou paramètres extérieurs comme moteurs de créations ou critères inhérents au processus de création font partie des sujets dont vous parlez de façon très intéressante dans les deux interviews de toi par Fabrice Stroun. Le tour de la question a donc déjà été fait il me semble. Je préfèrerai parler de ta relation au jeu et du plaisir que tu prends en réalisant tes œuvres et qui demeure ensuite tant par les formes, les couleurs que dans la scénographie.
GM: Il est certain que j'ai toujours adoré bricoler, détourner des outils et des éléments de bricolage. J'ai par ailleurs une affection profonde pour les objets, qui commence dès le magasin de bricolage. Je parle ici surtout de mes assemblages. Avant le plaisir de les partager avec le spectateur, il y a pour moi le plaisir de les faire. C'est tout simplement ainsi que j'organise mon travail, pour les œuvres sérielles, j'arrête à partir du moment où cela ne m'amuse plus, où je ne prends plus de plaisir à les réaliser et c'est ce qui devient ensuite tangible je crois. Théoriquement, je pourrais produire chacun de ces objets à l'infini. Il y a donc un point d'équilibre, un moment précis où la taille, la forme, la couleur s'équilibre, mais où c'est surtout l'intervention de l'envie ou de la lassitude qui détermine l'objet ou me fait abandonner sa réalisation. Je partage un peu avec le scientifique, disons que j'expérimente, que je vérifie en permanence si chaque élément tient ensemble et si l'ensemble, si avec les autres, cela fonctionne aussi.
Le bricolage et le côté ludique, voire enfantin, sont les deux aspects qui reviennent le plus souvent dans les commentaires sur ce fourmillement d'objets propre à l'art de Mayor. Ses œuvres sont ambivalentes, parce qu'elles font référence à la tradition de l'art suisse géométrique abstrait, autant qu'elles s'en affranchissent. Ses références à la peinture abstraite sont totalement décomplexées, que ce soit en termes de savoir-faire, de hiérachie, d'historicisation ou d'histoire de circulation des formes. Depuis dix ans, l'artiste n'a d'ailleurs pas daigné utiliser une toile ni un châssis! Et pour cause, Mayor se définit comme un sculpteur. Ces allusions formelles teintées d'humour deviennent donc rapidement lointaines. Mayor procède tout simplement par recherches sur des motifs abstraits. Au premier abord, ses incessantes expérimentations semblent fantasques, mais les vues d'ensemble que l'artiste en livre, révèlent toute leur logique interne, tel un index autoréférencé qui rend tangible la façon quasi-systématique dont les formes, motifs et figures sont organisés.
Caroline Soyez-Petithomme
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Interview de Genêt Mayor par Caroline Soyez-Petithomme, le 11 février 2011 à Lyon.
Caroline Soyez-Petithomme : L’installation de ton exposition personnelle à la Salle de bains est bientôt terminée. C’est une fois encore une myriade d’objets, de sculptures, de peintures et de dessins que tu nous livres. Une large diversité de formes, de couleurs, mais aussi une grande variété d’œuvres en termes d’échelle. Nous reviendrons sur ces aspects visuels et plastiques, mais pourrais-tu d'abord nous expliquer le pourquoi du titre de cette exposition : « Cornet » ?
Genêt Mayor : Il s’agit du nom d’une œuvre réalisée à l'automne 2010 et qui est présentée ici, dans l’exposition. Ce mot évoque un cornet à la crème (pâtisserie suisse), un cornet de frites ou une corne d’abondance. « Cornet » a des significations différentes en France et en Suisse où il désigne entre autres le sachet ou sac en plastique dans lequel on met ses courses. Par ailleurs, il se trouve que la majeure partie des œuvres exposées a précisément été apportée dans des cornets en papier ! Ce terme possède une racine commune avec le mot « encornet », ce qui m’arrange beaucoup, les calamars étant une de mes nombreuses passions.
CSP : Je me souviens d'une sculpture intitulée Deeply, une représentation géométrique et colorée d’un calamar géant. Ici à la Salle de bains, le calamar revient sous plusieurs formes: une sculpture abstraite et une représentation figurative (peinture et dessin sur planche de médium). Dans cette œuvre, le calamar géant tient entre ses tentacules une forme géométrique tridimensionnelle. Pourrais-tu nous en dire plus sur ces différents types de calamars ici exposés?
GM : Ces dernières années j’ai produit moins d’œuvres figuratives disons que je me suis mis à faire moins souvent appel à un imaginaire fantastique ou mythologique. Ma production a évolué avec des œuvres plus construites formellement, plus formalistes ou géométriques, avec plus d'angles droits en somme! Pour mes récentes expositions, j'ai eu envie de développer de possibles trames narratives, des bouts de fiction où interviennent notamment des monstres, des créatures etc…Pour ce tableau, La Désinvolture, je suis parti d’une image de Jonny Quest (dessin animé ou comics je ne sais plus) qui se battait contre un calamar. Je m’en suis inspiré et j’ai remplacé l’homme par une forme géométrique, ne laissant ainsi seulement visible, du moins figuratif, que le calamar géant. À 1m3 à Lausanne et à plusieurs autres reprises, j’ai essayé de confronter l’univers des monstres marins, des calamars, de ces animaux mythologiques avec d’autres mythes, autrement dit avec ceux qui gravitent autour ou résultent d’une histoire de l’abstraction géométrique. Cette schématisation du céphalopode se retrouve dans la sculpture qui est dressée dans l’espace. Ce tentacule s'intitule Jonny. C'est une représentation stylisée, géométrique. La sculpture se compose 5 planches de bois articulés verticalement comme un zigzag et maintenues entre elles par des équerres en métal.
CSP: À propos de ce tentacule, c’est, je crois, ta première sculpture à grande échelle, non?
GM : Presque oui! Dernièrement j’en ai réalisé une assez haute, pour mon exposition Mélange Promenade à Doll, à Lausanne. Auparavant, j’avais déjà fait de grandes sculptures, mais horizontales, comme étalées au sol, par exemple celle du calamar géant montré à 1m3 et dont on parlait précédemment. Cela correspond simplement à un désir personnel de changer de format, d’expérimenter autre chose que des objets de petite taille.
CSP : Des objets de petite taille, il y en a cependant encore beaucoup et ici ils sont notamment posés au sol, alors qu’habituellement tu les poses plutôt en hauteur ou selon des agencements rappelant des environnements domestiques. Tu as tenté donc quelque chose de totalement différent où le dispositif de monstration est beaucoup moins important. Il y a peut-être un effet moins "cabinet de curiosité", un côté moins "objets de déco" aussi.
GM : Je voulais présenter ces objets comme des sculptures à part entière, au sens traditionnel du terme, des objets tridimensionnels autour desquels on peut tourner. Ce rapport aux objets qui oblige le visiteur à se pencher est inédit et me plaît beaucoup, jusqu'à aujourd'hui je n’avais jamais présenté mes œuvres ainsi.
CSP : Au premier regard, les œuvres rassemblées dans la grande salle de la Salle de bains donnent l'impression d'une pratique très hétéroclite et foisonnante. Le côté mystérieux, voire faussement ésotérique de certains objets persiste. Mais cette première impression de désordre cède rapidement la place à l'effet inverse: celui d'une production très organisée, qui s'ordonne selon une logique qui certes t'est très personnelle, mais à laquelle le spectateur a accès au moins visuellement, notamment par la répétition. On distingue donc de possibles classifications par types d'objets, de motifs, de supports etc…
GM : Mon travail participe avant tout de l’assemblage et de la trouvaille d'objets usités ou nouveaux, rarement banals en fait (par exemple, les écorces d'arbres pour vivarium ou les pierres trouées destinés à l'exercice des poissons dans les aquariums). Ensuite vient la peinture, les motifs, la matière en elle-même, l’acrylique par exemple, mais ce n'est qu'un simple outil qui sert à mettre en valeur ou en évidence l’objet. Contrairement au dessin qui est clairement du dessin et rien d’autre, mes peintures sur ces objets n’appartiennent pas au domaine de la peinture, mais à celui de la sculpture. Je me définis comme un sculpteur. Je suis dans l’exploration des formes, des supports, donc pour un objet je vais trouver différentes manières de le combiner à d’autres, de l’orner etc…Je m’intéresse à énormément de choses, mon travail est simplement à l’image de cela! Quand je suis dans mon atelier, je passe sans cesse du coq-à-l'âne, les réalisations des pièces se font toujours en parallèle les unes des autres. Je cours toujours plusieurs lièvres à la fois. J’ai un appétit immense pour la fabrication, l’expérimentation et bien sûr: le bricolage. Ce mot revient inévitablement! Même s'il est selon moi très réducteur.
CSP : Malgré cet éparpillement que tu me décris, tu as quand même un objectif, une ligne de mire, un point précis vers lequel tu tends ou pas du tout ? Parce qu’il me semble que beaucoup de liens visibles, tangibles, mais pas seulement, existent entre tes œuvres.
GM : J’arrive à un stade où cet éparpillement est devenu quelque chose de très fertile, pas productif dans le sens du quantitatif, mais disons que c’est devenu un moteur, une qualité, plutôt qu’un manque d’organisation ou de concentration. J’ai l’impression que tout ce à quoi je me livre est comme un dessin, je trace des formes puis je les remplis, j’ai le sentiment de faire de même avec mes objets. Il est question de parcours, de tracés…et entre les lignes je dessine quelque chose…Le tentacule par exemple, c’est un objet, mais quand je l’imaginais je voyais ces plans s’élever dans l’espace. Depuis quelque temps, de façon quasi-inconsciente, ce sont des formes allongées qui potentiellement peuvent être déployées dans l’espace qui m’intéressent.
CSP : Tu parles de ton travail en des termes très formels, alors que visuellement l’ensemble est plutôt théâtral, du moins animé et intriguant. Tu évoques un imaginaire qui déborde largement de ces problématiques formelles.
GM : Les titres, les supports peuvent par exemple guider le spectateur sur des interprétations mystiques, ce pourrait être des objets ramenés d’un voyage dans un pays exotique, on dirait parfois aussi des objets de culte…j’aime bien que mes objets racontent des choses, qu’il y ait un mystère amusant mais sans en dire trop ! Mon but n'est absolument pas de construire une quelconque narration qui soutiendrait toute ma production !
CSP: Ces fragments figuratifs sont comme des balises. Pour en revenir aux monstres marins, la figure du Loch Ness est également récurrente dans ton œuvre. Ici, il fait irruption sous des formes géométriques, orné de motifs très colorés et il est fixé sur un petit socle, un morceau de planche de bois peinte en bleu. Tu as choisi de le présenter au sol, à côté d'autres objets de même échelle c'est-à-dire de petite taille.
GM: Il s'agit effectivement de Nessie, le mythologique et mythique serpent de mer qui dans la réalité ou dans les récits est censé être géant. Je l'ai tout simplement et je dirai une fois de plus, représenté sous sa forme la plus archétypale, on ne voit que les parties de son corps qui dépasse de l'eau. C'est une miniature…
CSP: Nessie qui est aussi représenté dans un de tes nouveaux dessins.
GM: Absolument! Ces dessins sont par ailleurs une sorte de patchwork de motifs et de présentations qui se poursuit depuis plusieurs années dans mon travail…
CSP: Le dessin est une sorte de flux continu qui alimente ta pratique. C'est une production quasi-quotidienne, qui a toujours accompagné ou que tu as toujours maintenue en parallèle à tes sculptures et tes autres oeuvres. La série exposée à la Salle de bains est un peu à part par rapport au reste de tes dessins, parce que c'est une série de 22 (mais tu n'en montres que 20, pour des raisons esthétiques et de lisibilité en termes d'accrochage). Ce ne sont donc pas des dessins que tu as piochés parmi les nombreux autres que tu organises simplement par année dans des classeurs. Ces dessins, bien qu'ils aient tous le même format que tous les autres (sur feuille A4), diffèrent des dessins que tu réalises habituellement, car ils sont sur des papiers au grain fin, uniquement noir et blanc et leur finition est très soignée. Contrairement au reste de ta production graphique, un seul dessin contient ici du texte, pas de recherche typographique donc, ni de juxtapositions de mots créant des associations d'idées incongrues. Habituellement, tu utilises des feuilles de brouillons, des feuilles dont le verso (et parfois même le recto) ont déjà servi, sorte d'équivalent bidimensionnel de tes objets trouvés. Ces dessins noir et blanc prennent donc un côté très sérieux ou devrais-je dire très appliqués? C'est la première fois que tu exposes cette série qui n'avait d'ailleurs initialement pas pour destination un espace d'exposition, mais une publication.
GM: Oui. Cette série s'intitule Le Jus. Elle était destinée à une publication accompagnant une de mes récentes expositions personnelles, en octobre 2010, à Fribourg en Suisse, chez Fluck-Paulus [1]. Cette publication contient un second entretien de Fabrice Stroun et moi-même (qui fait suite à celui de 2007), un texte de Tiphanie Blanc, des photographies de mes œuvres prises dans des endroits domestiques, chez leurs propriétaires ou collectionneurs et enfin, cette série de dessins réalisée pour cette occasion particulière. Ce travail de dessins que je poursuis depuis dix ans est parfois assez brut. Je récupère des circulaires, des papiers destinés à être jetés, mais aussi des dessins d'élèves que je complète et améliore. J'avais donc la volonté de me livrer à une série précise, limitée, avec un début et une fin! C'est un assemblage d'un certain nombre de choses qui sont récurrentes dans mon œuvre…
CSP: …comme des cordes, des lances, des formes abstraites tridimensionnelles, des motifs géométriques telles que ces grilles noir et blanc mouvantes, vaguement cinétiques ou ondulantes et qui se retrouvent sur un grand nombre de tes œuvres (dessins ou objets de différente taille, peints ou sur lesquels je dessine).
GM: Absolument et ce motif noir et blanc récurrent je l'appelle d'ailleurs "grillade", ce sont des suites de petits triangles noirs qui changent de direction et de taille, à partir d'une grille standard, de carreaux 5x5 par exemple. Le Jus est un bilan aussi bien qu'un inventaire…
CSP: C'est en quelque sorte un condensé, qui se distingue surtout par la précision de sa facture.
GM: J'ai toujours réalisé des illustrations noir et blanc de ce type, aussi bien en tant que dessins, que pour des pochettes de disques, des flyers…j'ai étendu ce type de dessin en en réalisant à l'encre de chine, parfois sur des grands formats. Mais je les ai rarement montrés, rarement mis en avant. Les autres dessins sont plutôt colorés, bariolés, avec des techniques mixtes. Je me suis fixé quelques contraintes, à savoir un unique stylo noir sur papier A4 blanc, dans le sens vertical.
CSP: De façon générale, tu joues beaucoup de ces contraintes imposées par les formats standard des feuilles ou des objets. Je pense ici à tes assemblages dont résultent des objets abstraits qui sont en réalité composés de tenons et mortaises ou de serre câbles. Les contraintes ou paramètres extérieurs comme moteurs de créations ou critères inhérents au processus de création font partie des sujets dont vous parlez de façon très intéressante dans les deux interviews de toi par Fabrice Stroun. Le tour de la question a donc déjà été fait il me semble. Je préfèrerai parler de ta relation au jeu et du plaisir que tu prends en réalisant tes œuvres et qui demeure ensuite tant par les formes, les couleurs que dans la scénographie.
GM: Il est certain que j'ai toujours adoré bricoler, détourner des outils et des éléments de bricolage. J'ai par ailleurs une affection profonde pour les objets, qui commence dès le magasin de bricolage. Je parle ici surtout de mes assemblages. Avant le plaisir de les partager avec le spectateur, il y a pour moi le plaisir de les faire. C'est tout simplement ainsi que j'organise mon travail, pour les œuvres sérielles, j'arrête à partir du moment où cela ne m'amuse plus, où je ne prends plus de plaisir à les réaliser et c'est ce qui devient ensuite tangible je crois. Théoriquement, je pourrais produire chacun de ces objets à l'infini. Il y a donc un point d'équilibre, un moment précis où la taille, la forme, la couleur s'équilibre, mais où c'est surtout l'intervention de l'envie ou de la lassitude qui détermine l'objet ou me fait abandonner sa réalisation. Je partage un peu avec le scientifique, disons que j'expérimente, que je vérifie en permanence si chaque élément tient ensemble et si l'ensemble, si avec les autres, cela fonctionne aussi.
[1] Fluck-Paulus: http://www.fluck-paulus.ch
[1] Fluck-Paulus: http://www.fluck-paulus.ch

Cornet, 2011
carton d'invitation
Genêt Mayor, né en 1976 (Suisse).
Vit et travaille à Cheseaux.
Vit et travaille à Cheseaux.
Genêt Mayor, né en 1976 (Suisse).
Vit et travaille à Cheseaux.
Vit et travaille à Cheseaux.
Fluck | Paulus sont Léa Fluck et Lauris Paulus. Ils sont commissaires d'expositions et éditent des publications et des multiples.
Fluck | Paulus sont Léa Fluck et Lauris Paulus. Ils sont commissaires d'expositions et éditent des publications et des multiples.
La Salle de bains reçoit le soutien du Ministère de la Culture DRAC Auvergne-Rhône-Alpes,
de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la Ville de Lyon.
de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la Ville de Lyon.