











BABANANALILITÉTÉ
Après un artiste accroupi, des monochromes roses et une chorale, récemment présentés au centre d’art contemporain Circuit de Lausanne, Aloïs Godinat investit l’espace de la Salle de bains à Lyon avec une partition et des séquences visuelles et sonores systématiques, intenses et minimales. Entre répétition, amplification et condensation, l’exposition convoque un refrain à la fois proche et lointain. La pratique de l’artiste suisse Aloïs Godinat (né en 1978) est essentiellement centrée autour de la sculpture de petite taille, l’utilisation de matériaux pauvres, de l’imprimé, de formes et de gestes conjugués au passé, et d’expérimentations sonores. A l’occasion de son exposition personnelle BABANANALILITÉTÉ, Aloïs Godinat poursuit ailleurs et autrement ses recherches formelles et conceptuelles sur les objets récurrents qui constituent son répertoire.
Ici, des sculptures inédites, à la fois élémentaires et extrêmement réfléchies, souvent empreintes d’un humour certain, acquièrent un nouveau relief dans un mode d’apparition recomposé et des espaces étendus, assurément favorables à l’aléatoire et à la contemplation active. Pour la première fois, l’artiste recourt à la vidéo de manière systématique et à l’échelle de l’exposition. Présentée à la foire d’art contemporain Liste de Bâle en 2012, une vidéo appartenant à cette nouvelle famille, représentant un ruban enroulé sur lui-même filmé en plan fixe dans un cadre serré, peut être lue comme l’annonce de la présente exposition. L’invitation de la Salle de Bains est l’opportunité pour l’artiste de prolonger et de multiplier ces expériences vidéos et d’en présenter une nouvelle série, réalisée entre mai 2012 et janvier 2013.
L’exposition composée de cinq vidéos donne à voir des objets proches des sculptures précédemment réalisées par l’artiste. Les formes (la cloche, la spirale, l’affiche), les objets usuels notamment enroulés ou élastiques ainsi que les matériaux bruts renvoient de manière assez évidente au répertoire constitué par l’artiste au fil des années. Néanmoins, des incertitudes demeurent quant à la nature et au statut de ces objets. Ces objets filmés ont été composés et/ou reconstitués pour ces vidéos et n’existent pas en tant que sculptures autonomes. Aloïs Godinat propose un nouvel usage de son répertoire d’objets en lui procurant une visibilité augmentée et différée par l’emploi de la vidéo. Ainsi, l’exposition BABANANALILITÉTÉ inaugure une nouvelle étape dans son travail. La scénographie imaginée pour l’exposition longe et prolonge autant qu’elle ceinture, structure et ouvre l’espace. Elle invite le public à occuper tout l’espace d’exposition depuis ses marges jusqu’à son centre et offre aux événements sculpturaux un cadre qui les sublime. Il s’agit de ménager des conditions d’appréhension des œuvres qui permettent à l’essence de ces objets de se révéler dans un mouvement imperceptible (celui de l’enregistrement) et une tension manifeste. L’objet enregistré, devenu image, s’unit dans l’épaisseur à l’espace d’exposition. Comme dans un va-et-vient, le travail de sculpture est mis à distance pour explorer autrement ce qu’expriment d’étonnamment peu commun ces objets choisis.
Cinq vidéos projetées sur des surfaces monochromes ouvrent l’espace sur une série d’objets filmés. Ceux-ci entretiennent différents types de relations analogiques avec les sculptures archétypales. Babananalilitété (2013) est la réplique, dans une autre matière, d’une spirale régulièrement présente dans le travail de l’artiste comme une signature en boucle qui apparaît souvent seule et isolée et qui, ici, par son agrandissement, perd sa dimension auratique pour acquérir une puissance magistrale. Carton (2013) est la déclinaison d’un ensemble de pièces existantes. Seul son format est modifié. Le carton - matériau de prédilection de Robert Filliou - est non seulement envisagé pour sa matière mais également pour les déclinaisons sémantiques qu’il offre. Caoutchouc (2013) est la forme la plus pure et ouverte et fait allusion aux sculptures abstraites de Hans Arp. Aloïs Godinat a isolé un composant d’une sculpture existante pour en former une nouvelle. Les opérations de répétition (l’affiche), d’hybridation et d’amplification (La cloche à manche, 2013, est agrandie par rapport à son modèle et évoque la production et la diffusion d’un son) ont également été privilégiées. Ces objets ordinaires épurés partagent cette capacité à condenser un possible déploiement. Quand ils sont denses et ramassés dans leurs matérialités et leurs formes, ils suggèrent un étirement physique possible (l'affiche, le ressort) et quand leurs significations sont schématiques (la cloche, la spirale) ou elliptiques (le caoutchouc), ils convoquent également des suggestions sémantiques étendues. L’emploi récent de la vidéo offre précisément à l’artiste la possibilité de cadrer, de décontextualiser et de positionner ses objets dans un espace, une durée et un temps autres. Disposés dans un environnement dépouillé et filmés en plan fixe sur des aplats colorés aux tons légèrement surannés, ces objets filmés inscrivent la démarche de l’artiste dans la continuité de deux traditions qui oscilleraient entre Tree Movie de Jackson Mac Low (1961) et Empire d’Andy Warhol (1964). Les objets sont condensés et le temps comme étiré ; le montage est réduit au minimum et l’exigence narrative évacuée. Lorsqu’une image seule est saisie, immobilisée au sein d’une vidéo, un mouvement continu du temps et une répétition « infinie » du processus caractérisent néanmoins cet enregistrement. L’écoulement de l’idée, du temps et de l’image n’est pas contrarié. Même si un « générique » détermine la durée de l’événement, les plans fixes et l’immobilité des objets filmés contredisent la fonction usuelle de l’enregistrement des images et la structure conventionnelle de la vidéo. Cette attention, portée à l’objet construit - ici presque dessiné - décontextualisé (reproduit et exposé) et dématérialisé (la sculpture devient une image et l’objet agrandi gagne en abstraction) ainsi que le déplacement de son usage, de son contexte d’apparition et de transmission, exacerbent à la fois le potentiel d’abstraction de ces objets et leurs capacités à être re-sémantisés.
Au milieu du déroulement de ces films, une sculpture solitaire et discrète est chargée de diffuser, à elle seule, tous les extraits sonores correspondants à chacune des cinq vidéos. Toujours en déséquilibre, cette enceinte inclinée, posée au sol mais bancale - qui accompagne régulièrement l’artiste, d’exposition en exposition - accueille les quelques indices et pistes de lecture de ses projections. Participant à dessiner l’espace physique de l’exposition, les sons diffusés déterminent également les durées des vidéos elles-mêmes. Signalant un dysfonctionnement ou une fonctionnalité révoquée, l’enceinte en déséquilibre, tout comme les objets représentés, indexent et suggèrent des usages et manipulations possibles mais suspendus, qui restent au demeurant assez indéterminés dans le temps et ambigus de par leur nature. Considérant le son comme un catalyseur de la vision, l’artiste a invité un musicien, Benoît Moreau, à composer un air de musique uniquement à partir d’instructions verbales. Ils ont élaboré ensemble la syntaxe visuelle et sonore de l’exposition. L’interprète considère la demande et imagine à partir des seules descriptions orales ses transpositions musicales. Aloïs Godinat a enregistré la « performance » instrumentale improvisée à la flûte de son interprète et a sélectionné, pour chaque objet présenté, un fragment mélodique, dynamique et accidenté. Le son prend l’allure d’une invitation à se déplacer d’objet en objet. L’exacte correspondance entre chaque objet et la pièce musicale dont il est la partition abstraite reste volontairement indéterminée pour le visiteur: les simultanéités visuelles et musicales aléatoires sont aussi essentielles au développement du scénario. Ainsi, les sons de la flûte conditionnent l’appréhension de ces films tout en laissant le spectateur libre d’entendre et de voir les multiples combinaisons possibles.
Virtuose de la mise en titre, l’artiste choisit ses titres pour leurs qualités graphiques et sonores. Le système de correspondance entre l’œuvre et le titre est souvent très direct, anti-héroïque et drôle, à la limite parfois de l’« asémantique ». Les titres désignent le contenu ou la forme de l’œuvre de manière littérale. Et pourtant, ils introduisent un jeu de variations sémantiques et sonores riche et assurément essentiel à la lecture de l’œuvre. Dit autrement, ce qui pourrait se situer au seuil d’un réalisme déceptif est paradoxalement ce qui se réfléchit le plus.
Dans un langage proche de celui des artistes Fluxus, Aloïs Godinat propose un schéma de réception esthétique horizontal : aucun élément ne fait autorité sur le spectateur, peu d’œuvres matérielles sont présentes dans l’espace d’exposition, l’artiste se met en retrait, le « spectacle » est annoncé mais toujours reporté, la classification toujours inappropriée. Les circulations et la contemplation active sont recherchées. Une dimension poétique, suggestive est expressément revendiquée. Banal ou distrait, l’acte, observé, ordonné et rythmé, mais continu, devient simplement et extrêmement signifiant.
Lionnel Gras
Here, hitherto unshown sculptures, at once elementary and extremely thought-out, and often imbued with a certain wit, take on a new relief in a mode of appearances put back together again, and extended spaces, undoubtedly favouring both randomness and active contemplation. For the first time the artist makes use of video in a systematic way and on the scale of the exhibition. A video belonging to this new family, screened at the Liste Contemporary Art Fair in Basel in 2012, which shows a ribbon coiled around itself filmed in a static shot in a tight frame, can be interpeted as the announcement of this exhibition. The invitation from La Salle de Bains has offered the artist a chance to prolong and multiply these video experiments and come up with a new series, produced between May 2012 and January 2013.
The exhibition, which is made up of five videos, presents objects akin to sculptures previously made by the artist. The forms (bell, spiral, poster), the ordinary items rolled up, in particular, and elastic, as well as the raw materials, refer in quite an obvious way to the repertory put together by the artist over the years. Uncertainties nevertheless remain about the nature and status of these filmed objects which have been composed and/or re-created for these videos, and do not exist as autonomous sculptures. Aloïs Godinat proposes a new use of his repertory of objects by giving it—and them—a greater visibility which is deferred by the use of video. So the exhibition BABANANALILITÉTÉ ushers in a new stage in his work. The set devised for the exhibition follows and prolongs as much as it girds, structures and opens the space. It invites the public to occupy the entire exhibition space from its edges to its centre, and offers the sculptural goings-on a framework which sublimates them. What is involved is setting up conditions for understanding the works, which enable the essence of these objects to be revealed in an imperceptible movement (of recording) and an evident tension. The recorded object, once turned into an image, becomes one with the exhibition space, in terms of depth. As in a back-and-forth sequence, the sculptural work is put at some remove in order to explore in different ways what these selected objects express in terms of something surprisingly uncommon.
Five videos projected on monochrome surfaces open the space up to a series of filmed objects. These latter have different types of similar relations with the archetypal sculptures. Babananalilitété (2013) is the replica, in another material, of a spiral which is regularly present in the artist’s work, like a looped signature which often appears on its own and isolated, and which, here, as a result of its enlargement, sheds its aura-like dimension and takes on a masterful power. Carton/Cardboard (2013) is the arrangement of a set of existing pieces. The only thing that is different is the format. Cardboard—Robert Filliou’s favourite material—is not only seen for its matter but also for the forms of semantic organization that it offers. Caoutchouc/Rubber (2013) is the purest and most open form, and makes reference to Hans Arp’s abstract sculptures. Aloïs Godinat has singled out a component of an existing sculpture to make a new one. There has also been a preference for operations involving repetition (the poster), hybridization and amplification (La cloche à manche/Bell with Handle, 2013, is enlarged in relation to its model and conjures up the production and broadcasting of a sound). These ordinary objects, refined and pared down, share this ability to condense a possible development. When they are dense and gathered in their material identities and their forms, they suggest a possible physical stretching (poster, spring) and when their meanings are schematic (bell, spiral) or elliptical (rubber), they also summon up extended semantic suggestions. It just so happens that the recent use of video offers the artist the possibility of framing, decontextualizing and positioning his objects in a different space, duration, and timeframe. Arranged in a spare environment and filmed in static shots on large coloured areas, these filmed objects incorporate the artist’s approach in the continuity of two traditions wavering between Jackson MacLow’s TreeMovie (1961) and Andy Warhol’s Empire (1964). The objects are condensed and time is as if stretched; the editing is reduced to a minimum and the narrative requirement dispensed with. When a lone image is caught, immobilized within a video, an on-going movement of time and an “endless” repetition of the process nevertheless hallmark this recording. The flow of the idea, the timeframe and the image is not hampered. Even if a “credit” defines the length of the event, the static shots and the motionlessness of the filmed objects contradict the usual function of recording images and the video’s conventional structure. For a split second, pauses give the eye a chance to be extended in the soft quality of the coloured areas with their slightly outmoded tones. This attention paid to the constructed object - here it is almost drawn - which is de-contextualized (reproduced and exhibited) and de-materialized (the sculpture becomes an image, and the enlarged image becomes more abstract), together with the shift of its use, and its context of appearance and transmission, exaggerate both the abstract potential of these objects and their capacity to be re-semanticized.
In the midst of the unfolding of these films, a solitary and discreet sculpture has the task of broadcasting, unabetted, all the acoustic excerpts tallying with each of the five videos. Invariably unbalanced, this speaker at an angle, set on the floor but rickety - which regularly accompanies the artist from show to show - contains the few clues and avenues for interpreting his projections. In helping to draw the exhibition’s physical space, the sounds broadcasted also determine the lengths of the videos themselves. In indicating a dysfunction or a revoked functional factor, the unbalanced speaker, and the objects represented, index and suggest possible but suspended uses and manipulations, which, furthermore, remain somewhat indeterminate in time, and ambiguous by their very nature. By regarding sound as a catalyst of vision, the artist invited a musician, Benoît Moreau, to compose a musical tune based solely on verbal instructions. Together they worked out the visual and acoustic syntax of the exhibition. The performer considers the request and devises his musical trans-positions based on nothing but oral descriptions. Aloïs Godinat recorded the improvised instrumental flute “performance” of his musician, and, for each object presented, selected a melodic, dynamic and irregular fragment. The sound takes on the look of an invitation to move from object to object. The exact liaison between each object and the musical piece for which it is the abstract score remains intentionally indeterminate for the visitor: the random visual and musical simultaneities are also essential to the development of the screenplay. So the sounds of the flute condition our understanding of these films while leaving the spectator free to hear and see the many different combinations possible.
As a virtuoso when it comes to creating titles, the artist chooses them for their graphic and acoustic qualities. The linkage system between the work and the title is often very direct, anti-heroic and funny, at a pinch at times something “asemantic”. The titles describe the content or the form of the work in a literal way. And yet they introduce an interplay of semantic and acoustic variations which is rich and essential to the work’s interpretation. Otherwise put, what might be situated at the threshold of a deceptive realism is, paradoxically, what is reflected the most.
In a language akin to that of the Fluxus artists, Aloïs Godinat proposes a plan of horizontal aesthetic reception: no element has authority over the spectator, few material works are present in the exhibition venue, the artist steps back, the “spectacle” is announced but always postponed, and the classification is invariably inappropriate. What is sought is circulation and active contemplation. A suggestive, poetic dimension is expressly laid claim to. Whether commonplace or absent-minded, the act, observed, ordered and paced, but continuous, becomes simply meaningful, and extremely so.
Lionnel Gras
Translated by Simon Pleasance & Fronza Woods
Liste des œuvres :
List of works :
Vidéo couleur HD 1’40 min
Caoutchouc, 2013
Vidéo couleur HD 2’19 min
Aï, 2013
Vidéo couleur HD 1’49 min
Assise, 2013
épicéa teinté, métal
dimensions variables
Babananalilitété, 2013
vidéo couleur HD 1’44 min
Carton, 2013
vidéo couleur HD 3’21 min
Sans titre, 2005 - 2013
cales, enceinte
dimensions variables
HD colour video 1’40 min
Caoutchouc, 2013
HD colour video 2’19 min
Aï, 2013
HD colour video 1’49 min
Assise, 2013
Stained wood, metal
dimensions variable
Babananalilitété, 2013
HD colour video 1’44 min
Carton, 2013
HD colour video 3’21 min
Sans titre, 2005 - 2013
wedges, speaker
dimensions variable

Vit et travaille et à Lausanne.
Représenté par Chez Valentin et Galerie Francesca Pia.
Vit et travaille et à Lausanne.
Représenté par Chez Valentin et Galerie Francesca Pia.
Commissariat : Lionnel Gras
de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la Ville de Lyon.
Cette exposition a reçu le soutien des Affaires culturelles de l’État de Vaud, du Fonds d'art contemporain de la Ville de Genève (FMAC), de la Ville de Lausanne et de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture.



