Suite 2, Jean-Marie Perdrix, la Salle de bains, Lyon du 23 mars au 15 avril 2017.
Photos : Jules Roeser
Photos : Jules Roeser
Suite 2, Jean-Marie Perdrix, la Salle de bains, Lyon from 23 March to 15 April 2017.
Photos : Jules Roeser
Photos : Jules Roeser
Suite 2
Du 23 mars au 15 avril 2017From 23 March to 15 April 2017
Jean-Marie Perdrix
L’autre et l’altérité sont deux notions intimement liées mais néanmoins différentes. L’autre, et par extension tout ce qu’il implique – d’autres cultures et d’autres héritages, d’autres rituels, d’autres comportements, d’autres systèmes de production, etc. – est une construction enracinée dans la vision « euro-centriste » et sédimentée par des années de pouvoir colonial. L’autre est alors considéré comme ce qui doit être dominé et contrôlé. L’altérité, notion d’abord utilisée dans les cercles d’anthropologie, tend quant à elle à inclure une idée plus complexe de ce qui existe au-delà des limites des critères occidentaux. Le terme introduit lui aussi des degrés de séparation entre le connu et l’étranger, mais cette séparation n’existe pas tant dans une forme de domination que de projection. Ainsi, la notion d’altérité a non seulement la capacité de modifier le rapport aux choses et les limites de la compréhension occidentale, mais aussi d’être dépositaire de désirs et de pulsions émotionnelles.
Dans ce contexte, l’altérité présente des qualités similaires à celles du fétiche. Tous deux reposent sur l’idée que certaines choses ou certains objets peuvent retenir des forces qui nous touchent de façon libidinale. C’est alors le territoire du rituel plus que du commun, de l’étrange plus que du tangible ; c’est aussi le territoire de l’œuvre de Jean-Marie Perdrix. Son travail habite ces espaces liminaux, et la plupart de ses œuvres sont le résultat d’une série de transitions culturelles délibérées – tous les travaux présentés dans cette exposition ont été produits au Burkina Faso. Il n’y a rien de plus étrange qu’une trace d’altérité dans un objet que nous pensons comprendre et gouverner, à l’exemple d’une table d’école de la IIIe République (Sans titre, 2016), ou de totems (Les Yabaa, 2002-2016) stockés dans un espace blanc, tous différents, tous identiques. Ce sont deux productions en série d’objets utilitaires et mystiques, où le deuxième est le prototype du premier ; des tirages dans une même matière non moins pragmatique et symbolique, qui, selon la logique du recyclage, répondent à un système de valeur inversé.
Pour cette exposition, sa première à Lyon, le familier et l’étranger sont présentés comme des produits dérivés d’un réseau complexe de processus culturels et industriels. Un meuble ayant un véritable potentiel de produit de masse au Burkina Faso, proposant une solution concrète à la scolarisation et au traitement des déchets, devient « œuvre d’art » de façon ambiguë, tandis que le pouvoir intrinsèque d’un totem africain – parfait fétiche moderne – est déréglé par sa multiplicité et sa répétition. Bien loin de réduire les différences entre l’ici et le là-bas, entre l’industriel et l’unique, le banal et l’extraordinaire, Jean-Marie Perdrix renforce ces différences, au moyen parfois d’une didactique piégée se présentant sous les traits crus de l’évidence. Ses objets mettent-ils en avant notre besoin de reproduire des artefacts qui incarnent l’altérité, à moins qu’ils ne renvoient le reflet du projet anxieux du modernisme occidental et les conséquences persistantes de l’influence coloniale ?
L’autre et l’altérité sont deux notions intimement liées mais néanmoins différentes. L’autre, et par extension tout ce qu’il implique – d’autres cultures et d’autres héritages, d’autres rituels, d’autres comportements, d’autres systèmes de production, etc. – est une construction enracinée dans la vision « euro-centriste » et sédimentée par des années de pouvoir colonial. L’autre est alors considéré comme ce qui doit être dominé et contrôlé. L’altérité, notion d’abord utilisée dans les cercles d’anthropologie, tend quant à elle à inclure une idée plus complexe de ce qui existe au-delà des limites des critères occidentaux. Le terme introduit lui aussi des degrés de séparation entre le connu et l’étranger, mais cette séparation n’existe pas tant dans une forme de domination que de projection. Ainsi, la notion d’altérité a non seulement la capacité de modifier le rapport aux choses et les limites de la compréhension occidentale, mais aussi d’être dépositaire de désirs et de pulsions émotionnelles.
Dans ce contexte, l’altérité présente des qualités similaires à celles du fétiche. Tous deux reposent sur l’idée que certaines choses ou certains objets peuvent retenir des forces qui nous touchent de façon libidinale. C’est alors le territoire du rituel plus que du commun, de l’étrange plus que du tangible ; c’est aussi le territoire de l’œuvre de Jean-Marie Perdrix. Son travail habite ces espaces liminaux, et la plupart de ses œuvres sont le résultat d’une série de transitions culturelles délibérées – tous les travaux présentés dans cette exposition ont été produits au Burkina Faso. Il n’y a rien de plus étrange qu’une trace d’altérité dans un objet que nous pensons comprendre et gouverner, à l’exemple d’une table d’école de la IIIe République (Sans titre, 2016), ou de totems (Les Yabaa, 2002-2016) stockés dans un espace blanc, tous différents, tous identiques. Ce sont deux productions en série d’objets utilitaires et mystiques, où le deuxième est le prototype du premier ; des tirages dans une même matière non moins pragmatique et symbolique, qui, selon la logique du recyclage, répondent à un système de valeur inversé.
Pour cette exposition, sa première à Lyon, le familier et l’étranger sont présentés comme des produits dérivés d’un réseau complexe de processus culturels et industriels. Un meuble ayant un véritable potentiel de produit de masse au Burkina Faso, proposant une solution concrète à la scolarisation et au traitement des déchets, devient « œuvre d’art » de façon ambiguë, tandis que le pouvoir intrinsèque d’un totem africain – parfait fétiche moderne – est déréglé par sa multiplicité et sa répétition. Bien loin de réduire les différences entre l’ici et le là-bas, entre l’industriel et l’unique, le banal et l’extraordinaire, Jean-Marie Perdrix renforce ces différences, au moyen parfois d’une didactique piégée se présentant sous les traits crus de l’évidence. Ses objets mettent-ils en avant notre besoin de reproduire des artefacts qui incarnent l’altérité, à moins qu’ils ne renvoient le reflet du projet anxieux du modernisme occidental et les conséquences persistantes de l’influence coloniale ?
Jean-Marie Perdrix
The "other" and "otherness" are two intimately linked yet different notions. The other, and by extension all that it implies - other cultures and heritages, other rituals, other behaviors, other production systems, etc. - is a construct rooted in the "euro-centric" vision and sedimented by years of colonial rule. - is a construct rooted in the "Euro-centric" vision and sedimented by years of colonial rule. The other is seen as something to be dominated and controlled. The Otherness, a notion first used in anthropological circles, tends to include a more complex idea of what exists beyond the limits of Western criteria. The term also introduces degrees of separation between the known and the foreign, but this separation exists not so much in a form of domination as of projection. Thus, the notion of otherness not only has the capacity to modify our relationship to things and the limits of Western understanding, but also to be the repository of desires and emotional impulses.
In this context, the otherness has qualities similar to those of the fetish. Both are based on the idea that certain things or objects can hold forces that affect us libidinally. This is the territory of the ritual rather than the common, of the strange rather than the tangible; it is also the territory of Jean-Marie Perdrix's work. His work inhabits these liminal spaces, and most of it is the result of a series of deliberate cultural transitions - all the works presented in this exhibition were produced in Burkina Faso. There's nothing stranger than a trace of otherness in an object we think we understand and govern, like a school table from the Third Republic (Untitled, 2016), or totem poles (Les Yabaa, 2002-2016) stored in a white space, all different, all the same. These are both mass-produced utilitarian and mystical objects, where the latter is the prototype of the former; prints in the same material no less pragmatic and symbolic, which, according to the logic of recycling, respond to an inverted value system.
In this exhibition, his first in Lyon, the familiar and the foreign are presented as by-products of a complex network of cultural and industrial processes. A piece of furniture with real mass-product potential in Burkina Faso, offering a concrete solution to school enrolment and waste disposal, ambiguously becomes a "work of art", while the intrinsic power of an African totem - a perfect modern fetish - is derailed by its multiplicity and repetition. Far from reducing the differences between here and there, between the industrial and the unique, the banal and the extraordinary, Jean-Marie Perdrix reinforces these differences, sometimes by means of a trapped didactic presented in the crude guise of the obvious. Do his objects highlight our need to reproduce artifacts that embody otherness, or do they reflect the anxious project of Western modernism and the lingering consequences of colonial influence?
The "other" and "otherness" are two intimately linked yet different notions. The other, and by extension all that it implies - other cultures and heritages, other rituals, other behaviors, other production systems, etc. - is a construct rooted in the "euro-centric" vision and sedimented by years of colonial rule. - is a construct rooted in the "Euro-centric" vision and sedimented by years of colonial rule. The other is seen as something to be dominated and controlled. The Otherness, a notion first used in anthropological circles, tends to include a more complex idea of what exists beyond the limits of Western criteria. The term also introduces degrees of separation between the known and the foreign, but this separation exists not so much in a form of domination as of projection. Thus, the notion of otherness not only has the capacity to modify our relationship to things and the limits of Western understanding, but also to be the repository of desires and emotional impulses.
In this context, the otherness has qualities similar to those of the fetish. Both are based on the idea that certain things or objects can hold forces that affect us libidinally. This is the territory of the ritual rather than the common, of the strange rather than the tangible; it is also the territory of Jean-Marie Perdrix's work. His work inhabits these liminal spaces, and most of it is the result of a series of deliberate cultural transitions - all the works presented in this exhibition were produced in Burkina Faso. There's nothing stranger than a trace of otherness in an object we think we understand and govern, like a school table from the Third Republic (Untitled, 2016), or totem poles (Les Yabaa, 2002-2016) stored in a white space, all different, all the same. These are both mass-produced utilitarian and mystical objects, where the latter is the prototype of the former; prints in the same material no less pragmatic and symbolic, which, according to the logic of recycling, respond to an inverted value system.
In this exhibition, his first in Lyon, the familiar and the foreign are presented as by-products of a complex network of cultural and industrial processes. A piece of furniture with real mass-product potential in Burkina Faso, offering a concrete solution to school enrolment and waste disposal, ambiguously becomes a "work of art", while the intrinsic power of an African totem - a perfect modern fetish - is derailed by its multiplicity and repetition. Far from reducing the differences between here and there, between the industrial and the unique, the banal and the extraordinary, Jean-Marie Perdrix reinforces these differences, sometimes by means of a trapped didactic presented in the crude guise of the obvious. Do his objects highlight our need to reproduce artifacts that embody otherness, or do they reflect the anxious project of Western modernism and the lingering consequences of colonial influence?
Liste des œuvres :
List of works :
Sans titre, 2016
3 tables d’écolier sur une série de 33 dont 30 ont été remises à l’école Memnin de Ouagadougou*
plastique et fer
75×117,5×87cm (chaque)
Les Yabaa, 2002-2016,
plastique recyclé
88×36×12cm (chaque)
Alpha - Bêta, 2017
bois, peau d’âne séchée
60×100×10cm
*Le projet se base sur :
le recyclage de déchets plastiques ménagers comme substitut du bois ; la collecte sélective manuelle de 100 tonnes de plastiques usagés auprès de 20 000 foyers de la ville (50 emplois à mi-temps) pour un gain de salubrité publique fort ; la création d’une valeur économique de l’ordre de 10 000 0000 Francs CFA, renforçant le budget de la ville pour ce service ; l’économie de déforestation d’environ 130 ha/an ; l’installation d’un atelier équipé de trois moules et employant 10 personnes ; la fabrication de 2000 tables par an ; les besoins de 6000 élèves du primaire soit l’équipement d’environ 100 classes ; la commercialisation auprès des écoles de l’enseignement primaire au Burkina-Faso.
3 tables d’écolier sur une série de 33 dont 30 ont été remises à l’école Memnin de Ouagadougou*
plastique et fer
75×117,5×87cm (chaque)
Les Yabaa, 2002-2016,
plastique recyclé
88×36×12cm (chaque)
Alpha - Bêta, 2017
bois, peau d’âne séchée
60×100×10cm
*Le projet se base sur :
le recyclage de déchets plastiques ménagers comme substitut du bois ; la collecte sélective manuelle de 100 tonnes de plastiques usagés auprès de 20 000 foyers de la ville (50 emplois à mi-temps) pour un gain de salubrité publique fort ; la création d’une valeur économique de l’ordre de 10 000 0000 Francs CFA, renforçant le budget de la ville pour ce service ; l’économie de déforestation d’environ 130 ha/an ; l’installation d’un atelier équipé de trois moules et employant 10 personnes ; la fabrication de 2000 tables par an ; les besoins de 6000 élèves du primaire soit l’équipement d’environ 100 classes ; la commercialisation auprès des écoles de l’enseignement primaire au Burkina-Faso.
Untitled, 2016
3 school tables from a series of 33.
30 of theses were donated to the Memnin school in Ouagadougou*,
plastic and iron,
75×117,5×87cm (each)
Les Yabaa, 2002-2016,
recycled plastic
88×36×12cm(each)
Alpha - Bêta, 2017
wood, dried donkey skin
*The project is based on :
the recycling of household plastic waste as a wood substitute; the manual selective collection of 100 tons of used plastics from 20,000 households in the city (50 half-time jobs) for a strong public health gain; the creation of an economic value in the order of 10,000,0000 CFA Francs, reinforcing the city's budget for this service ; savings on deforestation of around 130 ha/year; installation of a workshop equipped with three molds and employing 10 people; manufacture of 2,000 tables per year; needs of 6,000 primary school pupils, i.e. equipping around 100 classrooms; marketing to primary schools in Burkina-Faso.
3 school tables from a series of 33.
30 of theses were donated to the Memnin school in Ouagadougou*,
plastic and iron,
75×117,5×87cm (each)
Les Yabaa, 2002-2016,
recycled plastic
88×36×12cm(each)
Alpha - Bêta, 2017
wood, dried donkey skin
*The project is based on :
the recycling of household plastic waste as a wood substitute; the manual selective collection of 100 tons of used plastics from 20,000 households in the city (50 half-time jobs) for a strong public health gain; the creation of an economic value in the order of 10,000,0000 CFA Francs, reinforcing the city's budget for this service ; savings on deforestation of around 130 ha/year; installation of a workshop equipped with three molds and employing 10 people; manufacture of 2,000 tables per year; needs of 6,000 primary school pupils, i.e. equipping around 100 classrooms; marketing to primary schools in Burkina-Faso.
Suite 2, 2017
Invitation
Après des études à l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg et à l’institut des Hautes Études en Arts Plastiques de Paris, Jean-Marie Perdrix (né en 1966 à Bourg-en-Bresse) montre très tôt son travail lors d’expositions collectives en France (Entre chien et loup, Magasin, Grenoble, 1991) ainsi que dans l’est de l’Europe cela avant de développer un projet au long cours d’un atelier de fonderie et de recyclage de plastique à Ouagadougou dès 2002. Son œuvre est depuis régulièrement exposée tant dans des expositions internationales The Promise of Melancholy and Ecology (Fondation Giuliani, Rome, 2014) Bricologie (Villa Arson, Nice, 2015), Incorporated (Biennale de Rennes, 2016) qu’à Mexico à la Galerie Désiré Saint-Phalle. La galerie Samy Abraham (Paris) représente son travail et lui consacrera une exposition en septembre 2017.
After studying at the École des Arts Décoratifs in Strasbourg and the Institut des Hautes Études en Arts Plastiques in Paris, Jean-Marie Perdrix (b. 1966, Bourg-en-Bresse) showed his work early on in group exhibitions in France (Entre chien et loup, Magasin, Grenoble, 1991) and Eastern Europe, before developing a long-term project for a foundry and plastic recycling workshop in Ouagadougou in 2002. Since then, his work has been regularly exhibited in international shows such as The Promise of Melancholy and Ecology (Giuliani Foundation, Rome, 2014) Bricologie (Villa Arson, Nice, 2015), Incorporated (Biennale de Rennes, 2016) and in Mexico at Galerie Désiré Saint-Phalle. Galerie Samy Abraham (Paris) represents his work and will devote an exhibition to him in September 2017.
La Salle de bains reçoit le soutien du Ministère de la Culture DRAC Auvergne-Rhône-Alpes,
de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la Ville de Lyon.
de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la Ville de Lyon.