


Photos : André Morin / © La Salle de bains
Photos : André Morin / © La Salle de bains
Ohms and Amps
Du 11 au 26 juin 2004From 11 to 26 June 2004
Le centre dʼart contemporain la Synagogue de Delme et la salle de bains à Lyon ont le plaisir dʼinviter Pae White pour sa prochaine exposition, qui sʼouvrira les 11 et 12 juin.
Pae White développera pour les deux lieux de nouveaux projets, qui se tiendront non seulement dans les espaces dʼexpositions mais aussi sous formes dʼaffiches et de publications. Cette artiste américaine, qui vit et travaille à Pasadena, Californie, développe une œuvre multiple dans ses dispositifs, qui sʼinscrit à la fois dans le champ des installations, des objets, du graphisme ou du design. Ces œuvres brouillent les définitions de ce qui appartiendrait à lʼart ou aux arts appliqués, de ce qui hériterait de lʼart abstrait ou des arts populaires, de ce qui relèverait du "high"ou du "low". Lʼensemble des œuvres partagent une même fascination pour les couleurs chatoyantes, les matières sensuelles et les formes aériennes, allant parfois vers lʼimagerie populaire et un univers délibérément onirique.
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Quelqu’un (Olivier Mosset) a écrit une fois qu’il se pourrait bien que la peinture radicale, aujourd’hui, consiste en « une abstraction un peu poussée de la “ peinture en bâtiment ” ». Cela pourrait valoir aussi pour l’art de Pae White. Ses peintures à l’échelle des lieux constituent des environnements abstraits, autrement dit une « peinture en bâtiment » abstraite, une peinture passée du allover au all-around, mais aussi une junk sculpture étrange, faite de bric et de broc, de bouts de ficelles (littéralement), d’images découpées dans des magazines. À Delme, les bandes alternées à l’étage peuvent évoquer un chantier ou des marquages au sol comme ceux sur un terrain de sport. À l’entrée de la ville, elle avait installé un panneau qui fonctionnait comme une signalétique abstraite, comme un signe de bienvenue dans un monde sans image. À Lyon, une fresque en dégradé allant du sol jusqu’en haut des murs pouvait évoquer la peinture de carrosserie des voitures customisées. À Lyon toujours, la frise de papiers découpés courant sur les murs se prolongeait sur les endroits les plus ingrats a priori – de ceux qu’auraient soigneusement évités la plupart des artistes, comme les portes.
Son art est ainsi autant lié, au moins, à l’art appliqué de type décoratif qu’au traitement radical de l’espace et de l’œuvre par des artistes comme Carl Andre, disons. Cette ambivalence constitue une manière troublante d’interroger l’une comme l’autre forme d’art. Il s’agit plus, ici, d’aller de l’art vers autre chose, plutôt que l’inverse, dans le droit fil d’une tradition spécifiquement américaine de l’intégration art / design – celle des époux Eames, notamment –, beaucoup plus décontractée que celle des héritiers européens du Bauhaus. Jouant parfois de la confusion des genres, à la limite de la provocation, Pae White avait conçu une série de barbecues en formes d’animaux (chouette, tortue…), placés dans un environnement public. Autre forme à la limite (conventionnellement admise) de l’art récurrente dans son travail, ses travaux en tant que graphiste : Pae White a réalisé des publicités, des mises en pages et des illustrations pour des catalogues d’art. Parfois, sa participation à une exposition se limite au cadre du catalogue (What If ?, Moderna Museet, Stockholm, 2000), ou bien se prolonge dans la maquette (Enterprise, ICA, Boston, 1997). Elle a également réalisé systématiquement, pendant plusieurs années, les catalogues de Jorge Pardo. On fait généralement remarquer à ce propos qu’ils ont vécu ensemble – une manière de signifier la proximité de son travail avec le sien, ou l’influence qu’elle aurait subi. Mais à vrai dire, c’est inversement sur la dette de Pardo vis-à-vis de ce travail qu’il conviendrait de s’interroger, tant la tournure graphique prise ces dernières années par les pièces planes de Pardo semble s’efforcer de ressembler à ses catalogues d’autrefois.
Au-delà du plaisir évident pris à ce travail d’illustration, la démarche de Pae White dans ce domaine rappelle dans son principe (mais non ses effets) les procédures conceptuelles qui consistaient à considérer la page comme un des lieux de l’art à part entière : pièces pour magazines de Dan Graham ou Robert Barry, projets de Seth Siegelaub… Considérer la « matière imprimée » comme un lieu à part entière pour l’art ne signifie pas que chaque « lieu » en vaut un autre, que tout est égal. Mais on peut y voir en revanche une conséquence assumée de l’idée moderne de la perte de site, non seulement de la sculpture, mais encore de l’art en général. On sait comment l’histoire de la sculpture moderne et a fortiori l’art des années 1960-1970 a consacré la perte de site de l’art, sa fin en tant que monument. La sculpture cesse avec le modernisme d’être intrinsèquement rattachée à un lieu, d’en être la mémoire ou le gardien symbolique, pour devenir nomade : autonomie esthétique, mais aussi marchande (celle de la circulation des « biens » déplaçables).
Avec la grande pièce en suspension présentée à Delme, cette dimension-là était accentuée par l’impression que l’on peut ressentir d’être face à une exposition « repliable ». On peut imaginer le mobile rangé en accordéons, les cages resserrées en boules compactes, le plexiglas protégeant les frises enlevé et ces dernières rangées dans une boîte à chaussures. Sculpture nomade, mais aussi « mobile » : sculpture en mouvement, animée. Pae White s’est elle-même référée, parfois, à ses mobiles en des termes cinématographiques, comme à des stills (arrêt sur image ou photogramme) ou comme des « fondus ». Un « home cinéma », au sens où il aurait été fait maison – homemade. Le type de papier utilisé peut lui aussi revêtir des connotations enfantines. La gamme de papiers colorés Color-aid® est en fait un outil pédagogique utilisé aux États-Unis pour les petites classes ou pour les étudiants en design.
Intitulées « Ohms and Amps » (la Salle de bains) et « Amps and Ohms » (La synagogue), les deux expositions, étaient littéralement complémentaires. La frise présentée à Lyon était en fait composée (pour l’essentiel) des bandes de papier à partir desquelles furent fabriqués les papiers découpés de la pièce en suspension présentée à Delme. Comme un versant négatif et l’autre positif. Mais le titre des expositions se comprenait encore par l’usage de matériaux électrisés – des aimants et de la limaille de fer dans les Birdcages. Habituellement, les cages à oiseaux servent à emprisonner une forme de vie. C’est le cas ici aussi, où cette forme de contenant recèle des trésors personnels : souvenirs, petites annonces, récits fragmentaires, éléments ayant un rapport avec la préparation de l’exposition. Un monde en miniature, elliptique. Les « cages » portent des titres étranges, comme Enroulements de sommeil ou Isle des Gubs. Les titres sont en fait ceux « trouvés » par un logiciel de traduction automatique – une forme de poésie automatique, au sens fort. Isle des Gubs réunit dans une même cage de la limaille de fer, des oiseaux découpés, et des articles de journaux. L’un d’eux montre une photo d’un ouvrier en train de travailler sur le chantier d’un gratte-ciel en construction (un autre article porte sur les impôts, un autre sur l’art du papier plié japonais, et un autre encore sur un sondage concernant la santé publique). L’armature en acier dans laquelle il évolue fait écho à celle des cages de Pae White – des armatures de maisons miniatures, ou à ce qui resterait après leur destruction.
D’autres « cages » évoqueraient plus facilement la structure d’un réseau neuronal. Des synapses dans lesquelles passeraient des images, des souvenirs. Les pièces créent les conditions de jeux d’associations libres. Comme pour ses travaux de graphisme, il n’y a qu’un rapport lointain entre la forme et le contenu, une dissociation de l’un et de l’autre, une équivocité à la source du potentiel suggestif et poétique du travail.
Vincent Pécoil
Pae White développera pour les deux lieux de nouveaux projets, qui se tiendront non seulement dans les espaces dʼexpositions mais aussi sous formes dʼaffiches et de publications. Cette artiste américaine, qui vit et travaille à Pasadena, Californie, développe une œuvre multiple dans ses dispositifs, qui sʼinscrit à la fois dans le champ des installations, des objets, du graphisme ou du design. Ces œuvres brouillent les définitions de ce qui appartiendrait à lʼart ou aux arts appliqués, de ce qui hériterait de lʼart abstrait ou des arts populaires, de ce qui relèverait du "high"ou du "low". Lʼensemble des œuvres partagent une même fascination pour les couleurs chatoyantes, les matières sensuelles et les formes aériennes, allant parfois vers lʼimagerie populaire et un univers délibérément onirique.
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Quelqu’un (Olivier Mosset) a écrit une fois qu’il se pourrait bien que la peinture radicale, aujourd’hui, consiste en « une abstraction un peu poussée de la “ peinture en bâtiment ” ». Cela pourrait valoir aussi pour l’art de Pae White. Ses peintures à l’échelle des lieux constituent des environnements abstraits, autrement dit une « peinture en bâtiment » abstraite, une peinture passée du allover au all-around, mais aussi une junk sculpture étrange, faite de bric et de broc, de bouts de ficelles (littéralement), d’images découpées dans des magazines. À Delme, les bandes alternées à l’étage peuvent évoquer un chantier ou des marquages au sol comme ceux sur un terrain de sport. À l’entrée de la ville, elle avait installé un panneau qui fonctionnait comme une signalétique abstraite, comme un signe de bienvenue dans un monde sans image. À Lyon, une fresque en dégradé allant du sol jusqu’en haut des murs pouvait évoquer la peinture de carrosserie des voitures customisées. À Lyon toujours, la frise de papiers découpés courant sur les murs se prolongeait sur les endroits les plus ingrats a priori – de ceux qu’auraient soigneusement évités la plupart des artistes, comme les portes.
Son art est ainsi autant lié, au moins, à l’art appliqué de type décoratif qu’au traitement radical de l’espace et de l’œuvre par des artistes comme Carl Andre, disons. Cette ambivalence constitue une manière troublante d’interroger l’une comme l’autre forme d’art. Il s’agit plus, ici, d’aller de l’art vers autre chose, plutôt que l’inverse, dans le droit fil d’une tradition spécifiquement américaine de l’intégration art / design – celle des époux Eames, notamment –, beaucoup plus décontractée que celle des héritiers européens du Bauhaus. Jouant parfois de la confusion des genres, à la limite de la provocation, Pae White avait conçu une série de barbecues en formes d’animaux (chouette, tortue…), placés dans un environnement public. Autre forme à la limite (conventionnellement admise) de l’art récurrente dans son travail, ses travaux en tant que graphiste : Pae White a réalisé des publicités, des mises en pages et des illustrations pour des catalogues d’art. Parfois, sa participation à une exposition se limite au cadre du catalogue (What If ?, Moderna Museet, Stockholm, 2000), ou bien se prolonge dans la maquette (Enterprise, ICA, Boston, 1997). Elle a également réalisé systématiquement, pendant plusieurs années, les catalogues de Jorge Pardo. On fait généralement remarquer à ce propos qu’ils ont vécu ensemble – une manière de signifier la proximité de son travail avec le sien, ou l’influence qu’elle aurait subi. Mais à vrai dire, c’est inversement sur la dette de Pardo vis-à-vis de ce travail qu’il conviendrait de s’interroger, tant la tournure graphique prise ces dernières années par les pièces planes de Pardo semble s’efforcer de ressembler à ses catalogues d’autrefois.
Au-delà du plaisir évident pris à ce travail d’illustration, la démarche de Pae White dans ce domaine rappelle dans son principe (mais non ses effets) les procédures conceptuelles qui consistaient à considérer la page comme un des lieux de l’art à part entière : pièces pour magazines de Dan Graham ou Robert Barry, projets de Seth Siegelaub… Considérer la « matière imprimée » comme un lieu à part entière pour l’art ne signifie pas que chaque « lieu » en vaut un autre, que tout est égal. Mais on peut y voir en revanche une conséquence assumée de l’idée moderne de la perte de site, non seulement de la sculpture, mais encore de l’art en général. On sait comment l’histoire de la sculpture moderne et a fortiori l’art des années 1960-1970 a consacré la perte de site de l’art, sa fin en tant que monument. La sculpture cesse avec le modernisme d’être intrinsèquement rattachée à un lieu, d’en être la mémoire ou le gardien symbolique, pour devenir nomade : autonomie esthétique, mais aussi marchande (celle de la circulation des « biens » déplaçables).
Avec la grande pièce en suspension présentée à Delme, cette dimension-là était accentuée par l’impression que l’on peut ressentir d’être face à une exposition « repliable ». On peut imaginer le mobile rangé en accordéons, les cages resserrées en boules compactes, le plexiglas protégeant les frises enlevé et ces dernières rangées dans une boîte à chaussures. Sculpture nomade, mais aussi « mobile » : sculpture en mouvement, animée. Pae White s’est elle-même référée, parfois, à ses mobiles en des termes cinématographiques, comme à des stills (arrêt sur image ou photogramme) ou comme des « fondus ». Un « home cinéma », au sens où il aurait été fait maison – homemade. Le type de papier utilisé peut lui aussi revêtir des connotations enfantines. La gamme de papiers colorés Color-aid® est en fait un outil pédagogique utilisé aux États-Unis pour les petites classes ou pour les étudiants en design.
Intitulées « Ohms and Amps » (la Salle de bains) et « Amps and Ohms » (La synagogue), les deux expositions, étaient littéralement complémentaires. La frise présentée à Lyon était en fait composée (pour l’essentiel) des bandes de papier à partir desquelles furent fabriqués les papiers découpés de la pièce en suspension présentée à Delme. Comme un versant négatif et l’autre positif. Mais le titre des expositions se comprenait encore par l’usage de matériaux électrisés – des aimants et de la limaille de fer dans les Birdcages. Habituellement, les cages à oiseaux servent à emprisonner une forme de vie. C’est le cas ici aussi, où cette forme de contenant recèle des trésors personnels : souvenirs, petites annonces, récits fragmentaires, éléments ayant un rapport avec la préparation de l’exposition. Un monde en miniature, elliptique. Les « cages » portent des titres étranges, comme Enroulements de sommeil ou Isle des Gubs. Les titres sont en fait ceux « trouvés » par un logiciel de traduction automatique – une forme de poésie automatique, au sens fort. Isle des Gubs réunit dans une même cage de la limaille de fer, des oiseaux découpés, et des articles de journaux. L’un d’eux montre une photo d’un ouvrier en train de travailler sur le chantier d’un gratte-ciel en construction (un autre article porte sur les impôts, un autre sur l’art du papier plié japonais, et un autre encore sur un sondage concernant la santé publique). L’armature en acier dans laquelle il évolue fait écho à celle des cages de Pae White – des armatures de maisons miniatures, ou à ce qui resterait après leur destruction.
D’autres « cages » évoqueraient plus facilement la structure d’un réseau neuronal. Des synapses dans lesquelles passeraient des images, des souvenirs. Les pièces créent les conditions de jeux d’associations libres. Comme pour ses travaux de graphisme, il n’y a qu’un rapport lointain entre la forme et le contenu, une dissociation de l’un et de l’autre, une équivocité à la source du potentiel suggestif et poétique du travail.
Vincent Pécoil
Le centre dʼart contemporain la Synagogue de Delme et la salle de bains à Lyon ont le plaisir dʼinviter Pae White pour sa prochaine exposition, qui sʼouvrira les 11 et 12 juin.
Pae White développera pour les deux lieux de nouveaux projets, qui se tiendront non seulement dans les espaces dʼexpositions mais aussi sous formes dʼaffiches et de publications. Cette artiste américaine, qui vit et travaille à Pasadena, Californie, développe une œuvre multiple dans ses dispositifs, qui sʼinscrit à la fois dans le champ des installations, des objets, du graphisme ou du design. Ces œuvres brouillent les définitions de ce qui appartiendrait à lʼart ou aux arts appliqués, de ce qui hériterait de lʼart abstrait ou des arts populaires, de ce qui relèverait du "high"ou du "low". Lʼensemble des œuvres partagent une même fascination pour les couleurs chatoyantes, les matières sensuelles et les formes aériennes, allant parfois vers lʼimagerie populaire et un univers délibérément onirique.
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Quelqu’un (Olivier Mosset) a écrit une fois qu’il se pourrait bien que la peinture radicale, aujourd’hui, consiste en « une abstraction un peu poussée de la “ peinture en bâtiment ” ». Cela pourrait valoir aussi pour l’art de Pae White. Ses peintures à l’échelle des lieux constituent des environnements abstraits, autrement dit une « peinture en bâtiment » abstraite, une peinture passée du allover au all-around, mais aussi une junk sculpture étrange, faite de bric et de broc, de bouts de ficelles (littéralement), d’images découpées dans des magazines. À Delme, les bandes alternées à l’étage peuvent évoquer un chantier ou des marquages au sol comme ceux sur un terrain de sport. À l’entrée de la ville, elle avait installé un panneau qui fonctionnait comme une signalétique abstraite, comme un signe de bienvenue dans un monde sans image. À Lyon, une fresque en dégradé allant du sol jusqu’en haut des murs pouvait évoquer la peinture de carrosserie des voitures customisées. À Lyon toujours, la frise de papiers découpés courant sur les murs se prolongeait sur les endroits les plus ingrats a priori – de ceux qu’auraient soigneusement évités la plupart des artistes, comme les portes.
Son art est ainsi autant lié, au moins, à l’art appliqué de type décoratif qu’au traitement radical de l’espace et de l’œuvre par des artistes comme Carl Andre, disons. Cette ambivalence constitue une manière troublante d’interroger l’une comme l’autre forme d’art. Il s’agit plus, ici, d’aller de l’art vers autre chose, plutôt que l’inverse, dans le droit fil d’une tradition spécifiquement américaine de l’intégration art / design – celle des époux Eames, notamment –, beaucoup plus décontractée que celle des héritiers européens du Bauhaus. Jouant parfois de la confusion des genres, à la limite de la provocation, Pae White avait conçu une série de barbecues en formes d’animaux (chouette, tortue…), placés dans un environnement public. Autre forme à la limite (conventionnellement admise) de l’art récurrente dans son travail, ses travaux en tant que graphiste : Pae White a réalisé des publicités, des mises en pages et des illustrations pour des catalogues d’art. Parfois, sa participation à une exposition se limite au cadre du catalogue (What If ?, Moderna Museet, Stockholm, 2000), ou bien se prolonge dans la maquette (Enterprise, ICA, Boston, 1997). Elle a également réalisé systématiquement, pendant plusieurs années, les catalogues de Jorge Pardo. On fait généralement remarquer à ce propos qu’ils ont vécu ensemble – une manière de signifier la proximité de son travail avec le sien, ou l’influence qu’elle aurait subi. Mais à vrai dire, c’est inversement sur la dette de Pardo vis-à-vis de ce travail qu’il conviendrait de s’interroger, tant la tournure graphique prise ces dernières années par les pièces planes de Pardo semble s’efforcer de ressembler à ses catalogues d’autrefois.
Au-delà du plaisir évident pris à ce travail d’illustration, la démarche de Pae White dans ce domaine rappelle dans son principe (mais non ses effets) les procédures conceptuelles qui consistaient à considérer la page comme un des lieux de l’art à part entière : pièces pour magazines de Dan Graham ou Robert Barry, projets de Seth Siegelaub… Considérer la « matière imprimée » comme un lieu à part entière pour l’art ne signifie pas que chaque « lieu » en vaut un autre, que tout est égal. Mais on peut y voir en revanche une conséquence assumée de l’idée moderne de la perte de site, non seulement de la sculpture, mais encore de l’art en général. On sait comment l’histoire de la sculpture moderne et a fortiori l’art des années 1960-1970 a consacré la perte de site de l’art, sa fin en tant que monument. La sculpture cesse avec le modernisme d’être intrinsèquement rattachée à un lieu, d’en être la mémoire ou le gardien symbolique, pour devenir nomade : autonomie esthétique, mais aussi marchande (celle de la circulation des « biens » déplaçables).
Avec la grande pièce en suspension présentée à Delme, cette dimension-là était accentuée par l’impression que l’on peut ressentir d’être face à une exposition « repliable ». On peut imaginer le mobile rangé en accordéons, les cages resserrées en boules compactes, le plexiglas protégeant les frises enlevé et ces dernières rangées dans une boîte à chaussures. Sculpture nomade, mais aussi « mobile » : sculpture en mouvement, animée. Pae White s’est elle-même référée, parfois, à ses mobiles en des termes cinématographiques, comme à des stills (arrêt sur image ou photogramme) ou comme des « fondus ». Un « home cinéma », au sens où il aurait été fait maison – homemade. Le type de papier utilisé peut lui aussi revêtir des connotations enfantines. La gamme de papiers colorés Color-aid® est en fait un outil pédagogique utilisé aux États-Unis pour les petites classes ou pour les étudiants en design.
Intitulées « Ohms and Amps » (la Salle de bains) et « Amps and Ohms » (La synagogue), les deux expositions, étaient littéralement complémentaires. La frise présentée à Lyon était en fait composée (pour l’essentiel) des bandes de papier à partir desquelles furent fabriqués les papiers découpés de la pièce en suspension présentée à Delme. Comme un versant négatif et l’autre positif. Mais le titre des expositions se comprenait encore par l’usage de matériaux électrisés – des aimants et de la limaille de fer dans les Birdcages. Habituellement, les cages à oiseaux servent à emprisonner une forme de vie. C’est le cas ici aussi, où cette forme de contenant recèle des trésors personnels : souvenirs, petites annonces, récits fragmentaires, éléments ayant un rapport avec la préparation de l’exposition. Un monde en miniature, elliptique. Les « cages » portent des titres étranges, comme Enroulements de sommeil ou Isle des Gubs. Les titres sont en fait ceux « trouvés » par un logiciel de traduction automatique – une forme de poésie automatique, au sens fort. Isle des Gubs réunit dans une même cage de la limaille de fer, des oiseaux découpés, et des articles de journaux. L’un d’eux montre une photo d’un ouvrier en train de travailler sur le chantier d’un gratte-ciel en construction (un autre article porte sur les impôts, un autre sur l’art du papier plié japonais, et un autre encore sur un sondage concernant la santé publique). L’armature en acier dans laquelle il évolue fait écho à celle des cages de Pae White – des armatures de maisons miniatures, ou à ce qui resterait après leur destruction.
D’autres « cages » évoqueraient plus facilement la structure d’un réseau neuronal. Des synapses dans lesquelles passeraient des images, des souvenirs. Les pièces créent les conditions de jeux d’associations libres. Comme pour ses travaux de graphisme, il n’y a qu’un rapport lointain entre la forme et le contenu, une dissociation de l’un et de l’autre, une équivocité à la source du potentiel suggestif et poétique du travail.
Vincent Pécoil
Pae White développera pour les deux lieux de nouveaux projets, qui se tiendront non seulement dans les espaces dʼexpositions mais aussi sous formes dʼaffiches et de publications. Cette artiste américaine, qui vit et travaille à Pasadena, Californie, développe une œuvre multiple dans ses dispositifs, qui sʼinscrit à la fois dans le champ des installations, des objets, du graphisme ou du design. Ces œuvres brouillent les définitions de ce qui appartiendrait à lʼart ou aux arts appliqués, de ce qui hériterait de lʼart abstrait ou des arts populaires, de ce qui relèverait du "high"ou du "low". Lʼensemble des œuvres partagent une même fascination pour les couleurs chatoyantes, les matières sensuelles et les formes aériennes, allant parfois vers lʼimagerie populaire et un univers délibérément onirique.
—
Quelqu’un (Olivier Mosset) a écrit une fois qu’il se pourrait bien que la peinture radicale, aujourd’hui, consiste en « une abstraction un peu poussée de la “ peinture en bâtiment ” ». Cela pourrait valoir aussi pour l’art de Pae White. Ses peintures à l’échelle des lieux constituent des environnements abstraits, autrement dit une « peinture en bâtiment » abstraite, une peinture passée du allover au all-around, mais aussi une junk sculpture étrange, faite de bric et de broc, de bouts de ficelles (littéralement), d’images découpées dans des magazines. À Delme, les bandes alternées à l’étage peuvent évoquer un chantier ou des marquages au sol comme ceux sur un terrain de sport. À l’entrée de la ville, elle avait installé un panneau qui fonctionnait comme une signalétique abstraite, comme un signe de bienvenue dans un monde sans image. À Lyon, une fresque en dégradé allant du sol jusqu’en haut des murs pouvait évoquer la peinture de carrosserie des voitures customisées. À Lyon toujours, la frise de papiers découpés courant sur les murs se prolongeait sur les endroits les plus ingrats a priori – de ceux qu’auraient soigneusement évités la plupart des artistes, comme les portes.
Son art est ainsi autant lié, au moins, à l’art appliqué de type décoratif qu’au traitement radical de l’espace et de l’œuvre par des artistes comme Carl Andre, disons. Cette ambivalence constitue une manière troublante d’interroger l’une comme l’autre forme d’art. Il s’agit plus, ici, d’aller de l’art vers autre chose, plutôt que l’inverse, dans le droit fil d’une tradition spécifiquement américaine de l’intégration art / design – celle des époux Eames, notamment –, beaucoup plus décontractée que celle des héritiers européens du Bauhaus. Jouant parfois de la confusion des genres, à la limite de la provocation, Pae White avait conçu une série de barbecues en formes d’animaux (chouette, tortue…), placés dans un environnement public. Autre forme à la limite (conventionnellement admise) de l’art récurrente dans son travail, ses travaux en tant que graphiste : Pae White a réalisé des publicités, des mises en pages et des illustrations pour des catalogues d’art. Parfois, sa participation à une exposition se limite au cadre du catalogue (What If ?, Moderna Museet, Stockholm, 2000), ou bien se prolonge dans la maquette (Enterprise, ICA, Boston, 1997). Elle a également réalisé systématiquement, pendant plusieurs années, les catalogues de Jorge Pardo. On fait généralement remarquer à ce propos qu’ils ont vécu ensemble – une manière de signifier la proximité de son travail avec le sien, ou l’influence qu’elle aurait subi. Mais à vrai dire, c’est inversement sur la dette de Pardo vis-à-vis de ce travail qu’il conviendrait de s’interroger, tant la tournure graphique prise ces dernières années par les pièces planes de Pardo semble s’efforcer de ressembler à ses catalogues d’autrefois.
Au-delà du plaisir évident pris à ce travail d’illustration, la démarche de Pae White dans ce domaine rappelle dans son principe (mais non ses effets) les procédures conceptuelles qui consistaient à considérer la page comme un des lieux de l’art à part entière : pièces pour magazines de Dan Graham ou Robert Barry, projets de Seth Siegelaub… Considérer la « matière imprimée » comme un lieu à part entière pour l’art ne signifie pas que chaque « lieu » en vaut un autre, que tout est égal. Mais on peut y voir en revanche une conséquence assumée de l’idée moderne de la perte de site, non seulement de la sculpture, mais encore de l’art en général. On sait comment l’histoire de la sculpture moderne et a fortiori l’art des années 1960-1970 a consacré la perte de site de l’art, sa fin en tant que monument. La sculpture cesse avec le modernisme d’être intrinsèquement rattachée à un lieu, d’en être la mémoire ou le gardien symbolique, pour devenir nomade : autonomie esthétique, mais aussi marchande (celle de la circulation des « biens » déplaçables).
Avec la grande pièce en suspension présentée à Delme, cette dimension-là était accentuée par l’impression que l’on peut ressentir d’être face à une exposition « repliable ». On peut imaginer le mobile rangé en accordéons, les cages resserrées en boules compactes, le plexiglas protégeant les frises enlevé et ces dernières rangées dans une boîte à chaussures. Sculpture nomade, mais aussi « mobile » : sculpture en mouvement, animée. Pae White s’est elle-même référée, parfois, à ses mobiles en des termes cinématographiques, comme à des stills (arrêt sur image ou photogramme) ou comme des « fondus ». Un « home cinéma », au sens où il aurait été fait maison – homemade. Le type de papier utilisé peut lui aussi revêtir des connotations enfantines. La gamme de papiers colorés Color-aid® est en fait un outil pédagogique utilisé aux États-Unis pour les petites classes ou pour les étudiants en design.
Intitulées « Ohms and Amps » (la Salle de bains) et « Amps and Ohms » (La synagogue), les deux expositions, étaient littéralement complémentaires. La frise présentée à Lyon était en fait composée (pour l’essentiel) des bandes de papier à partir desquelles furent fabriqués les papiers découpés de la pièce en suspension présentée à Delme. Comme un versant négatif et l’autre positif. Mais le titre des expositions se comprenait encore par l’usage de matériaux électrisés – des aimants et de la limaille de fer dans les Birdcages. Habituellement, les cages à oiseaux servent à emprisonner une forme de vie. C’est le cas ici aussi, où cette forme de contenant recèle des trésors personnels : souvenirs, petites annonces, récits fragmentaires, éléments ayant un rapport avec la préparation de l’exposition. Un monde en miniature, elliptique. Les « cages » portent des titres étranges, comme Enroulements de sommeil ou Isle des Gubs. Les titres sont en fait ceux « trouvés » par un logiciel de traduction automatique – une forme de poésie automatique, au sens fort. Isle des Gubs réunit dans une même cage de la limaille de fer, des oiseaux découpés, et des articles de journaux. L’un d’eux montre une photo d’un ouvrier en train de travailler sur le chantier d’un gratte-ciel en construction (un autre article porte sur les impôts, un autre sur l’art du papier plié japonais, et un autre encore sur un sondage concernant la santé publique). L’armature en acier dans laquelle il évolue fait écho à celle des cages de Pae White – des armatures de maisons miniatures, ou à ce qui resterait après leur destruction.
D’autres « cages » évoqueraient plus facilement la structure d’un réseau neuronal. Des synapses dans lesquelles passeraient des images, des souvenirs. Les pièces créent les conditions de jeux d’associations libres. Comme pour ses travaux de graphisme, il n’y a qu’un rapport lointain entre la forme et le contenu, une dissociation de l’un et de l’autre, une équivocité à la source du potentiel suggestif et poétique du travail.
Vincent Pécoil

Ohms and Amps, 2004
carton d'invitation
Pae White, née en 1963 (USA).
Représentée par Sue Crockford.
Représentée par Sue Crockford.
Pae White, née en 1963 (USA).
Représentée par Sue Crockford.
Représentée par Sue Crockford.
L'exposition "Ohms and Amps" a reçu le soutien de Etant donnés, the french-American Fund for Contemporary Art.
L'exposition "Ohms and Amps" a reçu le soutien de Etant donnés, the french-American Fund for Contemporary Art.
La Salle de bains reçoit le soutien du Ministère de la Culture DRAC Auvergne-Rhône-Alpes,
de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la Ville de Lyon.