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Photos : Jesús Alberto Benítez
Photos: Jesús Alberto Benítez
MAYBE NEXT TIME
“Maybe next time”, “la prochaine fois peut-être”, est avant tout un mot d’excuse mais il nous plaît d’y entendre autant de déceptions que de promesses. D’ailleurs c’est dans cette ambivalence que la plupart des œuvres nous touchent depuis la fin des avant-gardes révolutionnaires: elles sont portées par la croyance en d’autres mondes possibles tout en admettant que l’art n’y pourra rien, ou presque. Qu’en serait-il si cette ritournelle qui embaume la Salle de bains et dont vos oreilles sont déjà lasses à ce stade de la lecture, entrait dans le langage des puissants de ce monde, répondant sur le sujet de la chaîne inéluctable des catastrophes liées au dérèglement climatique, par exemple : “Maybe next time”?
L’exposition emprunte son titre au film de Robot, le groupe musical formé en 2004 par John Miller et Takuji Kogo où se rencontrent leur intérêt pour le sampling d’images trouvées et de poésie disponible dans les spams, sites de rencontre ou de développement personnel. Dans Maybe Next Time (2024), les paroles chantées par différentes voix de synthèse sont tirées d’un site proposant des manières polies et crédibles d’annuler un rendez-vous non désiré. Cette prose libérale est associée à des séquences vidéos trouvées sur internet, montrant des rues désolées de Pékin lors du confinement lié au COVID 19.
Les œuvres réunies autour de ce film apportent de nouveaux éléments narratifs et découvrent d’autres zones de ce décor qui présente quelques ressemblances avec notre monde dans lequel se réalisent les fictions dystopiques. Mais elles témoignent aussi de pratiques d’atelier et d’intérêts premiers pour les formes qui tiennent à distance, avec la même nonchalance que cet air jazzy (on vous prévient : ça reste dans la tête), les justifications qu’on trouve sur les communiqués de presse.
Céline Vaché-Olivieri et Bruno Silva ont en commun d’être des flâneuse et flâneur qui collectionnent textes, images et rebuts d’objets de consommation, le plus souvent dans les banlieues de Paris (pour l’une) et sur les plages polluées de la côte portugaise (pour l’autre), déchets que Bruno Silva appelle des “résidus émotionnels”. Ils sont traités avec un mélange de colle et de talc dont il a la recette et qui leur donne cet aspect momifié, maintenu entre la vie et la mort, comme dans with Clarice en référence à la femme de lettres brésilienne Clarice Lispector. Cette fois c’est plutôt un rendez-vous manqué mais désiré qui est évoqué.
On remarquera que l’exposition insiste un tantinet sur l’idée de corps déboités et d’esprits évaporés, quitte à faire basculer cette douce mélancolie urbanisée dans une scène plus gore. Qu’on pense à la trépanation volontaire que s’infligent les joueur.euses de Candy crush dans le métro pour se murer dans le confort de leur solitude (photographiés par Céline Vaché-Olivieri avant d’être transférés sur des remakes de sacs Quechua) ou au motif récurrent (bien que crypté) du décapité dans les sculptures de Naoki Sutter-Shudo. Headless (2024), placé au-dessus du bureau de la Salle de bains, reprend un motif présent sur la couverture du n°1 de la Revue Acéphale (1936) dirigée par Georges Bataille qui y signe un texte sombre et enflammé, prédisant le dépassement d’une condition humaine médiocre dans le monde de la “vulgarité instruite”. Envisageait-il alors le devenir robots des humains?
Les sculptures de Naoki Sutter-Shudo semblent consentir à des lois secrètes, contenir un code caché. À la fois, elles se présentent comme des évidences bêtes ou froides, si l'on peut le dire de l’œuvre titrée Incendie pendant que l’artiste est chez lui à Los Angeles en proie à des feux sans précédents. Main character Energy (2025) de Camille Dumond est pour sa part une œuvre encodée. L’artiste réalise des films de fiction pour lesquels elle s’intéresse aux schémas narratifs et à l’influence des structures en place sur les corps et les esprits des individus. Ses expériences menées dans l’atelier, avec la céramique entre autres, composent des sortes de documents qui exposent des données, en l’occurrence des statistiques de genre dans les fictions de cinéma en marge de la théorie du voyage initiatique du héros (hero’s Journey) de Joseph Campbell (1949).
Whether by chance or amnesia, this is the second show in less than a year whose title bears the word “next” in it. One might detect a certain impatience in it, but also a mindset more interested in what comes next than in what came before, even when the worst is yet to come.
“Maybe next time” is first and foremost an apology, though we like to hear as much deception as promise. Indeed, it's in this ambivalence that most artworks have touched us since the end of the revolutionary avant-gardes: they're driven by a belief in other possible worlds, while admitting that art can do little, if anything, about it. What would happen if this ritornello that permeates la Salle de bains, and that you may already be weary of at this point, were to become part of the language of the world's powerful? For example, in response to the inescapable chain of catastrophes linked to climate change: “Maybe next time”?
The exhibition borrows its title from the film by Robot, the band formed in 2004 by John Miller and Takuji Kogo, bringing together their shared interest in sampling found images and poetry from spam, dating and self-help websites. In the video Maybe Next Time (2024), the lyrics, sung by various computer-generated voices, were taken from a site offering polite and credible ways of cancelling an unwanted date. This liberal prose is combined with video footage found on the Internet, showing desolate Beijing streets during the COVID 19 lockdown.
The works brought together around this film provide new narrative elements and uncover other areas of this setting, which bears some resemblance to our world in which dystopian fictions come to fruition. But they also bear witness to studio practices and primary interests in forms that keep at a distance the justifications found on press releases, with the same nonchalance as that jazzy tune (warning: it gets stuck in your head).
Céline Vaché-Olivieri and Bruno Silva share a penchant for wandering and collecting texts, images, and discarded consumer objects – most often from the suburbs of Paris (in her case) and the polluted beaches of the Portuguese coast (in his). Bruno Silva refers to these as “emotional residues.” They are treated with a mixture of glue and talcum powder for which he has a recipe, giving them a mummified appearance, held between life and death, as in the work entitled with Clarice (2024), a reference to the Brazilian writer Clarice Lispector. This time, however, it's a missed but longed-for connection that is evoked.
The exhibition leans slightly toward the theme of disjointed bodies and dissipated minds, occasionally tipping this soft, urbanized melancholy into something more gore-like. Consider the voluntary trepanation inflicted by Candy Crush players in the subway, seeking solace in the comfort of their solitude (photographed by Céline Vaché-Olivieri before being transferred onto remakes of Quechua bags), or the recurring (albeit cryptic) motif of the decapitated figure in Naoki Sutter-Shudo’s sculptures. Headless (2024), placed above the desk at la Salle de bains, reprises a motif from the cover of the first issue of the journal Acéphale (1936), directed by Georges Bataille, who contributed a dark and fervent text predicting the transcendence of a mediocre human condition in the world of “educated vulgarity.” Was he already envisioning the robotization of humans?
Naoki Sutter-Shudo's sculptures seem to consent to secret laws or to contain a hidden code. At the same time, they emerge as silly or cold evidence, as in the case of the work Incendie, while the artist is at home in Los Angeles, in the midst of unprecedented fires. Camille Dumond's Main Character Energy (2025) is an encoded work. The artist creates fictional films focusing on narrative structures and the influence of established systems on the bodies and minds of individuals. Her studio experiments, involving ceramics among other materials, produce document-like works that present data – specifically gender statistics in film narratives, on the margins of Joseph Campbell’s The Hero’s Journey theory (1949).
translation : Katia Porro
Liste des œuvres :
List of works :
objets trouvés en bord de mer, solution de colle blanche, talc et poudre de coquilles d’huitre
10×10×8cm
2. Céline Vaché-Olivieri, THE TART BAG, 2024
tissus, papiers, étiquettes, transferts copie du modèle NH Escape 500 de la marque Quechua
50×30×16cm
3. Naoki Sutter-Shudo, Oasis, 2022
bois, émail, aluminium anodisé, laiton, acier inoxydable
13×39×43 cm
Courtesy Crèvecœur
4. ROBOT (Takuji Kogo + John Miller), Maybe Next Time, 2024
video, 3’52, en boucle
5. Bruno Silva, it, 2024
sacs à légumes, transfert d’impression jet d’encre sur colle blanche, vernis acrylique anti-uv
61×41 cm
6. Naoki Sutter-Shudo, Incendie, 2020
bois, émail, acier, os de colombe caoutchouté
49.5×47×29.5 cm
Courtesy Crèvecœur
7. Céline Vaché-Olivieri, Objects in the mirror are closer than they appear (Mouth), 2025
miroir de rétroviseur, papier - série depuis 2020
15×13×0.5cm
8. Bruno Silva, with Clarice, 2024
emballage de melons, écorces d’orange, solution de colle blanche et de talc, marc de café, coupes de glace
58×38×20 cm
9. Bruno Silva, insomniacs (série), 2024
images de livres de cuisine, impressions par transfert, colle blanche, vernis acrylique anti-uv
17×25×1 cm
10. Camille Dumond, Main character energy, 2025
plaque en acier, plexiglass gravé, faïence en nériage, aimants
120×60 cm
11. Naoki Sutter-Shudo, Headless, 2024
bois émaillé, acier inoxydable
45×30×10 cm
Courtesy Crèvecœur
objects found by the sea,white glue solution,
talcum powder, oyster shell powder
10×10×8cm
2. Céline Vaché-Olivieri, THE TART BAG, 2024
fabrics, papers, labels, transfers copy of
NH Escape 500 from Quechua
50×30×16cm
3. Naoki Sutter-Shudo, Oasis, 2022
wood, enamel, anodised aluminium, brass,
stainless steel 13×39×43 cm
Courtesy Crèvecœur
4. ROBOT (Takuji Kogo + John Miller), Maybe Next Time, 2024
video, 3’52, loop
5. Bruno Silva, it, 2024
vegetable bags, inkjet print transfer on white glue,
acrylic anti-uv varnish
61×41 cm
6. Naoki Sutter-Shudo, Incendie, 2020
wood, enamel, steel, rubberised dove bone
49.5×47×29.5 cm
Courtesy Crèvecœur
7. Céline Vaché-Olivieri, Objects in the mirror are closer than they appear (Mouth), 2025
rear-view mirror, paper - since 2020
15×13×0.5cm
8. Bruno Silva, with Clarice, 2024
melon wrappers, orange peel, white glue and talc
solution, coffee grounds, ice cream cups
58×38×20 cm
9. Bruno Silva, insomniacs (series), 2024
cookbook images, transfer prints, white glue,
acrylic waterproof varnish
17×25×1 cm
10. Camille Dumond, Main character energy, 2025
steel plate, engraved plexiglass, ceramic tiles, magnets
120×60 cm
11. Naoki Sutter-Shudo, Headless, 2024
enamelled wood, stainless steel
45×30×10 cm
Courtesy Crèvecœur
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Camille Dumond (1988) vit et travaille entre Genève et la Normandie. Sa pratique se déploie sous la forme de sculptures, d'installations et de la réalisation de films. Son travail a été présenté en France à Triangle, Glassbox Paris, la Biennale de Saint Flour, le FRAC des Pays de la Loire. En Suisse, elle a exposé au Centre d'art contemporain de Genève (2015, 2021, 2022), Centre d'Art de Neuchâtel (2021), Palais de l'Athénée - salle Crosnier (2022), EAC les Halles (2022), et dans plusieurs artist run space (Forde, Hamlet, Unanimous conscent, Palazzina, Sihlhalle). Son travail a été montré à l'international à la Brasserie Atlas (2018), Microscope gallery (2018), le Cube - independant art room (2020), Art madrid (2020), Wieoftnoch (2023). En 2025, elle est invitée à exposer au Torrance Art Museum (Los Angeles), et à la Ferme de la Chapelle (Grand-Lancy/Genève).
John Miller (1954) vit et travaille à New York et à Berlin. Avec Mike Kelley et Jim Shaw, Miller a fait partie d'un groupe influent d'artistes qui ont étudié à CalArts dans les années 1970. En 2016, l'Institute of Contemporary Art de Miami a présenté la première grande exposition américaine de son œuvre. Expositions individuelles (sélection) : The Schinkel Pavillon, Berlin (2020), Kubus, Wien (avec Richard Hoeck, 2013) ; Museum Ludwig, Cologne (2011) ; Kunsthalle Zurich (2009) ; Cabinet des Estampes au Musée d'art moderne et contemporain, Genève (2004) ; The Morris and Helen Belkin Gallery, University of British Columbia, Vancouver (avec Mike Kelley, 2000) ; Le Magasin, Centre National d'Art Contemporain de Grenoble ; Kunstverein Hamburg (1999).
Céline Vaché-Olivieri (1978) Vit et travaille en région parisienne. Elle est diplômée de la Hear Strasbourg. Son travail a été récemment montré à Pauline Perplexe, Arcueil (2024), Plateau Frac Ile-de-France (2023), Galerie Florence Loewy, Paris (2021), Ecole municipale des Beaux-arts Edouard Manet à Gennevilliers (2019) , Les Capucins à Embruns (2016).
de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la Ville de Lyon.
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