



















Sans titre
L’image du carton d’invitation constitue une des possibles entrées dans l’exposition Sans titre de l’artiste autrichien Ernst Caramelle. Il s’agit de la valise dans laquelle le peintre range ses pinceaux, éponges et esquisses de futures peintures. Elle incarne de manière presque emblématique ce qui a fait la renommée de l’artiste au cours de ses quarante dernières années : des peintures murales abstraites et éphémères qui jouent avec l’architecture du lieu d’exposition. Cette image s’avère également, non sans humour, archétypale de l’idée du peintre se déplaçant avec ses couleurs comme avec un atelier portatif. Ernst Caramelle voyage pour réaliser des peintures uniques qui ne sont donc ni transportables ni transposables.
La matérialité des peintures et l’économie de moyens dont elles résultent — des pigments purs dilués dans de l’eau et appliqués directement à l’aide d’un pinceau ou d’une éponge sur un mur non-préparé — portent en eux une certaine forme de légèreté mais aussi de fragilité qui persiste après l’intervention de l’artiste. Bien qu’il ait cessé de réaliser des performances dès les années quatre-vingt, la réalisation de ses peintures peut être comprise comme une forme résiduelle, minimale et invisible, de performance. Cette fragilité réside également dans un ensemble de critères qui se déduisent des peintures : la présence de l’artiste demeure indispensable tout comme son appréhension aiguisée des contraintes architecturales et le savoir-faire qu’il a élaboré au fil de sa carrière. Le choix de ne pas rendre transmissible la réalisation de ses peintures est radical puisqu’Ernst Caramelle n’a jamais réalisé de peintures sur toiles ou sur bois. En outre, a contrario de certains artistes conceptuels, comme par exemple Sol Lewitt, Ernst Caramelle n’accompagne pas ses peintures d’un certificat ou d’instructions qui permettraient de refaire l’œuvre ici ou ailleurs, programmant ainsi la disparition de la majeure partie de son œuvre et rendant impossible toute rétrospective au sens strict du terme.
Pour la Salle de bains à Lyon, l’artiste a réalisé plusieurs peintures in situ qu’il a entrepris de faire dialoguer avec une partie de sa collection d’images anonymes, qui constitue le pendant graphique et pérenne de son travail pictural. Contre toute attente, les peintures n’ont rien de monumentales, elles ne se confrontent pas au lieu de manière frontale mais occupent subtilement les retours des murs, les espaces de transition entre chaque salle, laissant ainsi une large place aux images sérigraphiées. Ces dernières sont des collages ou montages d’images trouvées à partir desquelles l’artiste perpétuent des agencements ou variations, ces posters sont pour la plupart des éditions non numérotées et non signées redoublant ainsi leur anonymat.
La transparence des peintures qui révèlent les surfaces plutôt qu’elles ne leur font écran ou ne les obstruent répond aux effets de transparence et de superpositions des compositions réalisées avec des images trouvées. Les rectangles et découpes créées par les peintures laissent supposer que les compositions picturales pourraient être les esquisses ou maquettes de futurs collages, les zones de couleurs abstraites seraient alors remplacées par des images. Cette juxtaposition de peintures abstraites et d’images se poursuit dans les livres d’artistes disposés à l’entrée de l’exposition pointant ainsi qu’Ernst Caramelle ne pratique pas une peinture conceptuelle abstraite dogmatique ou orthodoxe, que tout demeure ouvert, en perpétuelle évolution ; et en contre-point de la maîtrise de l’espace et de la couleur qui sont en quelque sorte devenus ses marques de fabriques, l’imprévu, l’aléatoire et l’accident font toujours partie intégrante de son processus de création.
The material quality of these paintings and the spare means from which they result—pure pigments diluted in water and applied directly with the help of a brush or sponge on an unprepared wall—contain within them a certain form of levity, as well as fragility, which persists after the artist’s intervention (even though he may have stopped putting on performances back in the 1980s, the production of his paintings can be understood in his work as a residual, minimal and invisible form of performance). This fragility also resides in a set of criteria which can be deduced from the paintings: the artist’s presence remains indispensable, as does his acute understanding of architectural restrictions and the know-how he has developed during his career. The=e choice not to render the execution of his paintings transmissible is a radical one, because Ernst Caramelle has never made paintings on canvases or on wood. Unlike certain conceptual artists, such as Sol LeWitt for example, Ernst Caramelle does not accompany his paintings with a certificate or instructions which would make it possible to remake the work, here or elsewhere, thus programming the disappearance of the bulk of his oeuvre and making any kind of retrospective impossible in the strict sense of the term.
For la Salle de bains in Lyon the artist has produced several paintings in situ, which he has set up to dialogue with a part of his collection of anonymous images, which form the graphic and ongoing counterpart to his painterly work. Against all expectations, the paintings have nothing monumental about them, they do not confront the place in a head-on way but, rather, subtly occupy the angles of the walls and the transitional areas between each room, thus leaving plenty of space for the silkscreened images. These latter are collages and montages of found images based on which the artist perpetuates arrangements and variations; these posters are for the most part unnumbered and unsigned editions, thus adding to their anonymity.
The transparency of the paintings which tend to reveal that they do not act as a screen or obstruct the surfaces corresponds with effects of transparency and superpositions with which the compositions of found images play. The rectangles and cut-outs created by the paintings also suggest that the pictorial compositions might be the sketches and maquettes of future collages, and the abstract areas of colour would then be replaced by images. This juxtaposition of abstract paintings and images is continued in the artists’ books displayed at the entrance to the exhibition showing that Ernst Caramelle does not produce a dogmatic or orthodox abstract conceptual painting, that everything remains open, in perpetual evolution, and that as a counterpoint to the mastery of space and colour which have in a way become his trademarks, the unforeseen, the random and the accidental are part and parcel of the creative process.

de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la Ville de Lyon.


