



Photos : © La Salle de bains
Photos : © La Salle de bains
The Victims of Guantanamo Bay (Memorial)
Du 13 janvier au 11 mars 2007From 13 January to 11 March 2007
L’œuvre de Gianni Motti présentée à la Salle de bains consiste en une série de plaques commémoratives dédiées aux 759 prisonniers du camp de Guantanamo, à Cuba. Sa forme est empruntée à celle des monuments aux victimes américaines du 11 septembre ; mais la liste de noms qui sont gravés dans l’acier, par ordre alphabétique, est celle des 759 personnes qui ont été ou sont encore actuellement détenues sur la base américaine de Guantanamo. Le Département de la Défense américain a dû publier la liste complète des prisonniers, grâce à un recours de l’agence Associated Press au nom du Freedom of Information Act (loi constitutionnelle sur la liberté de l’information).
Un autre artiste spécialisé, lui, dans les plaques de métal, mais disposées à l’horizontale (Carl Andre), disait autrefois : « chaque chose est un trou dans autre chose qu’elle n’est pas ». Appliqué au périmètre de la base de Guantanamo, cela peut signifier que la base est un trou dans l’espace de la légalité. Mais inversement, un monument est un trou dans l’espace vide de l’oubli. On peut dire beaucoup en venant combler
un vide, par exemple un vide juridique, et c’est ce que Motti fît en collaboration avec l’artiste suisse Christoph Büchel. En 2004, déjà, ils avaient monté un projet, Guantanamo Initiative (présenté au Centre Culturel Suisse, à Paris et à la 51e Biennale de Venise), qui avait pour fin de louer la baie de Guantanamo à Cuba pour en faire une base culturelle. Une manière, là aussi, de rappeler, en creux, le statut hors normes de cette portion de territoire d’un peu plus de 100 km2, une zone de non-droit vestige d’une situation de domination quasi-coloniale des États-Unis en Amérique centrale. (Le gouvernement cubain rejette depuis 1959 la convention de « concession permanente » établie en 1903 qui octroie aux États-Unis l’usufruit de la baie pour un loyer annuel qui s’élève aujourd’hui à 4,085 $ – un loyer non-encaissé par la République de Cuba en signe de protestation.)
Walter Benjamin disait que l’histoire est écrite par les vainqueurs ; peut-être cela vaut-il surtout, aujourd’hui, pour le traitement de l’information. Les actualités sont celles des puissants du jour, et c’est bien la raison pour laquelle on n’érige pas de monuments aux causes perdues ou aux anonymes pris dans la tourmente des guerres et de la violence légale. C’est précisément dans les espaces vides de la représentation médiatique que Gianni Motti prend souvent le parti de faire irruption. Son travail intervient souvent à la frontière législative entre ce qui peut être représenté et ce qui ne peut pas l’être, soit qu’on l’interdise, soit qu’on le néglige.
Récemment, Motti avait exposé un savon, Mani Pulite (2005), fabriqué avec le surplus de graisse extrait par liposuccion de Silvio Berlusconi au terme d’une opération de chirurgie esthétique, réalisée dans la plus grande discrétion. Mani Pulite (mains propres), nom donné à la gigan-tesque opération anti-corruption qui avait secoué l’Italie dans les années 90, suggérait l’existence d’un rapport inversement proportionnel entre l’obsession hygiéniste de l’apparence et l’intégrité morale.
Auparavant, il avait par exemple aussi exposé des images de la guerre en Macédoine et au Kosovo, achetées à une agence de presse, et délaissées par les médias, exposant en creux la fabrication de l’intérêt médiatique (Dommages collatéraux, 2001.). Ne correspondant pas à l’image attendue des représentations d’un conflit, ces images devenaient « collatérales », elles aussi, au même titre que les dommages qu’elles sont censées renseigner. « Collatéral » s’entend ainsi en un second sens : ce qui est tombé hors champ, en dehors des médias, à côté du sujet. Ce qui a été relégué dans l’oubli, dans la non-image… Les images des médias sont véritablement le réel, le reste, ce dont il n’y a pas d’image, appartenant au non-être.
Coupés du monde, détenus anonymement dans un no man’s land juridique, sans aucun recours possible, les détenus de Guantanamo étaient ou sont victimes également de l’indifférence générale quant à leur sort (mais qui peut se soucier des droits de gens qui, officiellement, n’existent pas ?) Le vernissage prendra la forme d’une inauguration de monument traditionnelle, en présence de deux des cinq prisonniers français de Guantanamo originaires de Vénissieux : Mourad Benchellali et Nizar Sassi.
Un autre artiste spécialisé, lui, dans les plaques de métal, mais disposées à l’horizontale (Carl Andre), disait autrefois : « chaque chose est un trou dans autre chose qu’elle n’est pas ». Appliqué au périmètre de la base de Guantanamo, cela peut signifier que la base est un trou dans l’espace de la légalité. Mais inversement, un monument est un trou dans l’espace vide de l’oubli. On peut dire beaucoup en venant combler
un vide, par exemple un vide juridique, et c’est ce que Motti fît en collaboration avec l’artiste suisse Christoph Büchel. En 2004, déjà, ils avaient monté un projet, Guantanamo Initiative (présenté au Centre Culturel Suisse, à Paris et à la 51e Biennale de Venise), qui avait pour fin de louer la baie de Guantanamo à Cuba pour en faire une base culturelle. Une manière, là aussi, de rappeler, en creux, le statut hors normes de cette portion de territoire d’un peu plus de 100 km2, une zone de non-droit vestige d’une situation de domination quasi-coloniale des États-Unis en Amérique centrale. (Le gouvernement cubain rejette depuis 1959 la convention de « concession permanente » établie en 1903 qui octroie aux États-Unis l’usufruit de la baie pour un loyer annuel qui s’élève aujourd’hui à 4,085 $ – un loyer non-encaissé par la République de Cuba en signe de protestation.)
Walter Benjamin disait que l’histoire est écrite par les vainqueurs ; peut-être cela vaut-il surtout, aujourd’hui, pour le traitement de l’information. Les actualités sont celles des puissants du jour, et c’est bien la raison pour laquelle on n’érige pas de monuments aux causes perdues ou aux anonymes pris dans la tourmente des guerres et de la violence légale. C’est précisément dans les espaces vides de la représentation médiatique que Gianni Motti prend souvent le parti de faire irruption. Son travail intervient souvent à la frontière législative entre ce qui peut être représenté et ce qui ne peut pas l’être, soit qu’on l’interdise, soit qu’on le néglige.
Récemment, Motti avait exposé un savon, Mani Pulite (2005), fabriqué avec le surplus de graisse extrait par liposuccion de Silvio Berlusconi au terme d’une opération de chirurgie esthétique, réalisée dans la plus grande discrétion. Mani Pulite (mains propres), nom donné à la gigan-tesque opération anti-corruption qui avait secoué l’Italie dans les années 90, suggérait l’existence d’un rapport inversement proportionnel entre l’obsession hygiéniste de l’apparence et l’intégrité morale.
Auparavant, il avait par exemple aussi exposé des images de la guerre en Macédoine et au Kosovo, achetées à une agence de presse, et délaissées par les médias, exposant en creux la fabrication de l’intérêt médiatique (Dommages collatéraux, 2001.). Ne correspondant pas à l’image attendue des représentations d’un conflit, ces images devenaient « collatérales », elles aussi, au même titre que les dommages qu’elles sont censées renseigner. « Collatéral » s’entend ainsi en un second sens : ce qui est tombé hors champ, en dehors des médias, à côté du sujet. Ce qui a été relégué dans l’oubli, dans la non-image… Les images des médias sont véritablement le réel, le reste, ce dont il n’y a pas d’image, appartenant au non-être.
Coupés du monde, détenus anonymement dans un no man’s land juridique, sans aucun recours possible, les détenus de Guantanamo étaient ou sont victimes également de l’indifférence générale quant à leur sort (mais qui peut se soucier des droits de gens qui, officiellement, n’existent pas ?) Le vernissage prendra la forme d’une inauguration de monument traditionnelle, en présence de deux des cinq prisonniers français de Guantanamo originaires de Vénissieux : Mourad Benchellali et Nizar Sassi.
At La Salle de Bains, Gianni Motti is presenting a set of steel plates dedicated to the prisoners at the American base in Guantanamo, Cuba. The form of the work is based on that of the monument to the victims of the 9/11 attacks; but the names engraved on the plates in alphabetical order are those of the 759 people who are (or were) detained at Guantanamo. Following representations made by Associated Press under the Freedom of Information Act, the American Department of Defense was required to publish a full list of the prisoners.
It was Carl Andre, another specialist in metal plates (though laid out horizontally), who once said: "Everything's a hole in something that it's not." Applied to the perimeter of the Guantanamo base, this could signify that the camp is a hole in the domain of legality. But conversely, a monument is a hole in the empty space of oblivion. Much could be said in terms of filling up a lacuna, for example a legal lacuna; which is what Motti did in his work with the Swiss artist Christoph Büchel. And back in 2004, at the Centre Culturel Suisse in Paris, and also at the 51st Venice biennial, he developed a project, Guantanamo Initiative, whose ostensible object was to hire the base at Guantanamo and turn it into a "cultural base". This was another way to highlight the anomalous status of a tract of land covering 100 km2, where the rule of law does not apply – a relic of quasi-colonial domination by the United States in central America. (In 1959, the Cuban government repudiated the 1903 "permanent concession" convention that gave the United States the right to occupy the bay in return for an annual rent whose current value is $4,085, though the Republic of Cuba, as a sign of protest, does not accept the money.)
Walter Benjamin said that history is written by the winners; and this is perhaps most applicable, at the present time, to the way information is treated. News reporting is dictated by those in power, which is very much the reason why no one builds monuments to lost causes, or to the faceless victims of wars and "legal" violence. And it is precisely in the empty spaces of media representation that Gianni Motti often chooses to make a conspicuous appearance. Much of his work is situated at the legislative frontier between that which can be represented and that which cannot, either because it is prohibited or because it has been neglected.
In 2005, Motti exhibited a bar of soap, Mani Pulite ("Clean hands"), that had been made out of fat extracted by liposuction from Silvio Berlusconi during cosmetic surgery carried out in great secrecy. "Mani pulite" was also the name given to the huge anti-corruption operation that shook Italy in the 1990s, and Motti's work implied the existence of an inverted relationship between moral integrity and a hygienicist obsession with appearances.
In 2001, in Collateral Damage, Motti exhibited pictures of the war in Macedonia and Kosovo that had been overlooked by the media. These images cast light on the mechanisms underlying the fabrication of media interest. They did not correspond to expectations of what images of conflict might look like, and thus they became, in turn, "collateral", like the damage they were supposed to represent. The term "collateral" thereby took on a second sense: that which is off the record, absent from the media, beside the point; that which has been banished to the outer darkness of the non-image… Media images are the genuine reality, and the rest – that of which there is no image – is of the order of non-being.
Cut off from the world, held anonymously in a legal equivalent of no man's land, and denied any right of appeal, the Guantanamo detainees have also been, and indeed continue to be, victims of general indifference (but there again, is anybody likely to be concerned about the rights of people who have no official existence?). The preview of the exhibition will take the form of a traditional unveiling ceremony, in the presence of Mourad Benchellali and Nizar Sassi, from Vénissieux, who were two of the original five French prisoners at Guantanamo.
It was Carl Andre, another specialist in metal plates (though laid out horizontally), who once said: "Everything's a hole in something that it's not." Applied to the perimeter of the Guantanamo base, this could signify that the camp is a hole in the domain of legality. But conversely, a monument is a hole in the empty space of oblivion. Much could be said in terms of filling up a lacuna, for example a legal lacuna; which is what Motti did in his work with the Swiss artist Christoph Büchel. And back in 2004, at the Centre Culturel Suisse in Paris, and also at the 51st Venice biennial, he developed a project, Guantanamo Initiative, whose ostensible object was to hire the base at Guantanamo and turn it into a "cultural base". This was another way to highlight the anomalous status of a tract of land covering 100 km2, where the rule of law does not apply – a relic of quasi-colonial domination by the United States in central America. (In 1959, the Cuban government repudiated the 1903 "permanent concession" convention that gave the United States the right to occupy the bay in return for an annual rent whose current value is $4,085, though the Republic of Cuba, as a sign of protest, does not accept the money.)
Walter Benjamin said that history is written by the winners; and this is perhaps most applicable, at the present time, to the way information is treated. News reporting is dictated by those in power, which is very much the reason why no one builds monuments to lost causes, or to the faceless victims of wars and "legal" violence. And it is precisely in the empty spaces of media representation that Gianni Motti often chooses to make a conspicuous appearance. Much of his work is situated at the legislative frontier between that which can be represented and that which cannot, either because it is prohibited or because it has been neglected.
In 2005, Motti exhibited a bar of soap, Mani Pulite ("Clean hands"), that had been made out of fat extracted by liposuction from Silvio Berlusconi during cosmetic surgery carried out in great secrecy. "Mani pulite" was also the name given to the huge anti-corruption operation that shook Italy in the 1990s, and Motti's work implied the existence of an inverted relationship between moral integrity and a hygienicist obsession with appearances.
In 2001, in Collateral Damage, Motti exhibited pictures of the war in Macedonia and Kosovo that had been overlooked by the media. These images cast light on the mechanisms underlying the fabrication of media interest. They did not correspond to expectations of what images of conflict might look like, and thus they became, in turn, "collateral", like the damage they were supposed to represent. The term "collateral" thereby took on a second sense: that which is off the record, absent from the media, beside the point; that which has been banished to the outer darkness of the non-image… Media images are the genuine reality, and the rest – that of which there is no image – is of the order of non-being.
Cut off from the world, held anonymously in a legal equivalent of no man's land, and denied any right of appeal, the Guantanamo detainees have also been, and indeed continue to be, victims of general indifference (but there again, is anybody likely to be concerned about the rights of people who have no official existence?). The preview of the exhibition will take the form of a traditional unveiling ceremony, in the presence of Mourad Benchellali and Nizar Sassi, from Vénissieux, who were two of the original five French prisoners at Guantanamo.

The Victims of Guantanamo Bay (Memorial), 2007
carton d'invitation
Exposition présentée dans le cadre de La création contemporaine Suisse à Lyon et en Rhône-Alpes, avec le soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture.
This exhibition is part of La Création Contemporaine Suisse à Lyon et en Rhône-Alpes, and is supported by Pro Helvetia, the Swiss arts council.
La Salle de bains reçoit le soutien du Ministère de la Culture DRAC Auvergne-Rhône-Alpes,
de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la Ville de Lyon.
de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la Ville de Lyon.
